Arrivée à ce fameux axiome que « l’argent c’est le nerf de la guerre », axiome que Mme de M… attribue à Quinte-Curce, mais qu’elle trouvera également dans Végèce, dans Montecuculli, dans Santa-Cruz, et dans tous les auteurs qui ont écrit sur la guerre, Mme de M… s’arrête. Ce n’est pas l’argent, dit-elle, c’est le fer. D’accord, ce n’est pas avec des écus que l’on se bat, c’est avec des soldats ; toute la question se réduit à savoir s’il est plus facile d’avoir des soldats sans argent que d’en avoir avec de l’argent. Le premier moyen sera plus économique. Il ne paraît pas cependant qu’il fût du goût de Sully.
Je lisais dernièrement dans Grotius la définition de la guerre : « La guerre est l’état de ceux qui tâchent de vider leurs différends par la voie de la force. » Il est évident que cette définition est la même que celle du duel.
Mais, a-t-on dit aux duellistes, vous allez à la mort en riant, vous vous battez par partie de plaisir. Il en a été absolument de même de la guerre. Avant la révolution on ne s’égorgeait plus que le chapeau à la main. Le grand Condé fait donner l’assaut à Lérida avec trente-six violons en tête des colonnes ; et dans les champs d’Ettingen et de Clostersevern, on vit les jeunes officiers marcher aux batteries comme à un bal, en bas de soie et en perruque poudrée à blanc.
Il prit un jour fantaisie à Rousseau, le don Quichotte du paradoxe, de soutenir une vérité. C’était pour lui chose nouvelle. Il s’y prit comme pour une mauvaise cause, il alla chercher des autorités comme les gens qui ne trouvent pas de bonnes raisons. C’est ainsi qu’à propos du duel il a cité les anciens. Il est probable que Rousseau n’avait pas lu Quinte-Curce. Il y aurait vu qu’il n’y avait guère de festin chez Alexandre où il n’y eût quelques combats singuliers entre les convives. Qu’était-ce d’ailleurs que le combat d’Étéocle et de Polynice ? Et, dans l’Iliade, est-il probable que si Minerve n’était pas venue prendre Achille par les oreilles, Agamemnon aurait laissé son épée dans le fourreau ?
Mais, ont dit les philosophes, les grecs ! Ah ! les grecs ! Il est bien vrai que les grecs ne se battaient pas comme nos aïeux, avec juges et parrains, ainsi que nous le voyons dans La Colombière ; mais voulez-vous savoir ce que faisaient sur ce point ces grecs dont on nous cite si souvent l’exemple ? Les grecs faisaient mieux, ils assassinaient. Voyez, par exemple, Plutarque, dans la vie de Cléomène. On tuait son homme en trahison, cela ne tirait point à conséquence. Il lui tendit des embûches, disait tranquillement l’historien, à peu près comme nous dirions aujourd’hui : Il lui avait fait un serment.
De cela que veut-on conclure ? Que je plaide pour le duel ? Bien au contraire ; c’est seulement une des mille et une inconséquences humaines que je m’amuse à relever : occupation philosophique. On s’étonne que nos lois ne défendent pas le duel ; ce qui m’étonne, c’est qu’elles ne l’aient pas encore