instant la secousse du réel. Le saisissement que la lune est un monde n’est pas l’impression habituelle que nous donne cette chose ronde inégalement éclairée paraissant et disparaissant à notre horizon. L’esprit, même l’esprit du songeur, a des habitudes ; quant au bourgeois il a des centons dans la mémoire, la reine des nuits, la pâle courrière, la lune des romances. Le clair de la lune n’évoque pour le peuple qu’Arlequin et Pierrot. Les poètes qualifient la lune au point de vue terrestre ; fille de Théa, dit Hésiode ; œil de la nuit, dit Pindare ; toi qui gouvernes le silence, dit Horace ; quœ silentia régis. Les mythologies et les religions, interprètes diminuants de la création, luttent à qui rapetissera cet astre. Pour l’Afrique, c’est un démon, Lunus ; pour les phéniciens, c’est Astarté, pour les arabes, c’est Alizat, pour les perses, c’est Militra, pour les égyptiens, c’est un bœuf. La Gaule, comme pour la Chersonèse, voit dans la lune un prétexte à égorger les naufragés, par la main des magesses à l’adyta de la Troade, par la main des druidesses au cromlech de l’île de Sein. Les celtes, frappés de sa ressemblance humaine, l’appellent leun, ce qui signifie image, et l’adorent sur la colline Aralunœ où est aujourd’hui Arlon. Circé, Trophonius, Zoroastre, les magiciennes de Thessalie, les pytonisses de Crotone, les pâtres de Chaldée, murmurent des paroles attirantes qui font descendre la lune sur la terre. Pour Anaximandre, la lune est un feu dans un globe concave, c’est-à-dire une veilleuse au plafond de la nuit. Chez les étrusques, Oreste ayant caché dans un fagot la lune (lisez la statue de Diane prise par lui à Thoas), on appelle la lune Phaselis. Les grecs la couvrent de noms, Diane, Phœbe, Proserpine ; la Détache-Ceinture, Tisiphone ; la frappeuse de loin, Hécate ; elle invente les filets et s’appelle Dictynne ; quoique vierge, elle est sage-femme, et s’appelle, à cause de ce talent, Lucine à Egine et Bubastès à Éléphanta ; étant triple, elle règne sur les carrefours et s’appelle Trivia. Elle a soixante nymphes, un carquois, un arc, des biches familières, une meute, et un char d’argent. Elle est chasseresse et guerrière. Elle est jalouse de Niobé et lui tue ses enfants. Elle est prude ; c’est à cause d’elle que Calisto est ourse, Actéon cerf, Dédalion épervier, mais cette hypocrite a une alcôve où elle donne des rendez-vous à Endymion, berger et roi ; cette alcôve c’est la grotte Latmœ, sur le mont Latmos en Carie. Elle ne veut pas qu’on découche, elle exige le domicile, elle veut que les morts même aient leur chez soi, restez dans vos lits, et elle punit les mânes surpris par elle en état de vagabondage ; elle condamne à cent années de larmes nocturnes l’esprit des corps sans sépulture. C’est là, dit Hésiode, ce que Jupiter a enseigné aux hommes. Telle est la lune payenne ; la lune juive est à peu près de même réalité. Le pseudo-Dieu qui rédige la Bible n’en sait pas plus long ; il dit par la bouche d’Ézéchiel : la lune est une lampe d’argent, et Jéhovah ignore le ciel aussi bien que Jupiter. Les prêtres prennent le croissant pour le mettre, les uns sur la tête de Diane, les autres sous les pieds de Marie. Voilà la lune des religions.
De tout cela à être un univers, il y a du chemin. Si les religions ôtent sa vraie poésie à la lune, les sciences n’ont nul souci de la lui rendre ; la véritable science, par dédain de l’hypothèse, la fausse science, par recherche des panacées et des pierres philosophâtes. La lune, pour l’astrologue, c’est le signe sous lequel il y a dans le nouveau-né mâle trop de sang de femme, et dans le nouveau-né femelle trop de sang