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À LA COLONNE DE LA PLACE VENDÔME.

Immortels, dominant nos troubles passagers,
Sortir, signes jumeaux d’amour et de colère,
Lui, de l’épargne populaire,
Toi, des arsenaux étrangers !

Que de fois, tu le sais, quand la nuit sous ses voiles
Fait fuir la blanche lune ou trembler les étoiles,
Je viens, triste, évoquer tes fastes devant moi ;
Et, d’un œil enflammé dévorant ton histoire,
Prendre, convive obscur, ma part de tant de gloire,
Comme un pâtre au banquet d’un roi !

Que de fois j’ai cru voir, ô colonne française,
Ton airain ennemi rugir dans la fournaise !
Que de fois, ranimant tes combattants épars,
Heurtant sur tes parois leurs armes dérouillées,
J’ai ressuscité ces mêlées
Qui t’assiègent de toutes parts !

Jamais, ô monument, même ivres de leur nombre,
Les étrangers sans peur n’ont passé sous ton ombre.
Leurs pas n’ébranlent point ton bronze souverain.
Quand le sort une fois les poussa vers nos rives,
Ils n’osaient étaler leurs parades oisives
Devant tes batailles d’airain !

II



Mais quoi ! n’entends-je point, avec de sourds murmures,
De ta base à ton front bruire les armures ?
Colonne ! il m’a semblé qu’éblouissant mes yeux,
Tes bataillons cuivrés cherchaient à redescendre…
Que tes demi-dieux, noirs d’une héroïque cendre,
Interrompaient soudain leur marche vers les cieux !