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L’AVARICE ET L’ENVIE[1]


CONTE


L’Avarice et l’Envie, à la marche incertaine,
Un jour s’en allaient par la plaine
Chez un méchant ou chez un fou,
Chez vous ou chez quelqu’autre, ou chez moi-même… En somme
Elles allaient je ne sais où,
Comme le héron du bonhomme.
Bien que soeurs, ces monstres hideux
Ne s’aiment pas ; aussi, tout le long de la route,
Sans se parler, ils cheminaient tous deux.
L’Avarice, le dos en voûte,
Examinait ce coffre hasardeux
Pour qui sans cesse elle redoute.
L’Envie aussi l’examinait sans doute.
Comptant tous les écus dans son coffre entassés,
Chemin faisant, dame Avarice
Se répétait pour son supplice :
« Je n’en ai point encore assez ! »
De son côté, l’Envie au regard louche,
Lorgnant cet or, objet de tous ses soins,
Disait, en se tordant la bouche :
« Elle en a trop, car j’en ai moins. »
Chacune, à sa façon, méditait sur ce coffre :
Désir soudain à leurs yeux s’offre,
Désir, ce dieu puissant, qui seul peut exaucer
Tous les souhaits qu’on lui veut adresser.
Désir dit aux deux sœurs : « Mesdames,
» Je suis galant, vous êtes femmes,
» Choisissez donc tout ce qu’il vous plaira,

  1. Publié dans le Conservateur littéraire et dans Victor Hugo raconté. Les six premiers vers de ce conte ont été sensiblement modifiés dans le Conservateur littéraire ; les voici tels que les donne le manuscrit :

    Un jour l’Avarice et l’Envie,
    Couple aux humains toujours fatal.
    Couple dont la fureur n’est jamais assouvie
    L’une de bien, l’autre de mal.
    Sortaient, je crois, de chez un défunt cardinal.
    Pour aller d’un vieux prêtre empoisonner la vie.

    (Note de l’éditeur.)