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Les Derniers Bardes [1]



Il dit : « Arrive, tue, détruis, ravage, puisque

tu as vaincu ceux qui avaient vaincu.

(Romances espagnoles.)


Cyprès, arbres des morts, qui courbe ainsi vos têtes ?
Sont-ce les Esprits des tempêtes ?
Sont-ce les noirs vautours, cachés dans vos rameaux ?
Ou, fidèles encore à vos bocages sombres,
Les Enfants d’Ossian viennent-ils sous vos ombres
Chercher leurs antiques tombeaux ?
Ô monts, est-ce un torrent dont le bruit m’épouvante ?
N’entends-je pas plutôt, dans la nuit décevante,
Les spectres s’appeler sur vos fronts chevelus ?
Harpe, qui fait frémir ta corde murmurante ?
Est-ce le vent du Nord ? est-ce quelque ombre errante
Des vieux Bardes qui ne sont plus ?

Non, les bardes n’ont pu descendre
Dans ce fleuve des ans, qui roule l’avenir;
Si leur cythare en deuil se tait avec leur cendre,
Interrogeons ces lieux, pleins de leur souvenir.
Le pâtre, gardien de leur gloire,
De leurs chants révéré conservant la mémoire,
Les répète aux rochers déserts;
À l’étranger, perdu dans ces campagnes,Redit leur sort et leurs concerts.

Vous ne reviendrez plus, beaux jours, siècles prospères !
Le pâtre, heureux de vivre ou vécurent ses pères,

  1. Edouard, roi d’Angleterre, ne put pénétrer en Ecosse qu’après avoir taillé en pièces tous les guerriers calédoniens. Les bardes, alors, se réunirent sur des rochers (que l’auteur suppose être ceux de Tremnor, aïeul de Fingal, père des Vents, des Tourbillons.), et là ils maudirent solennellement l’armée et le roi à leur passage, puis se précipitèrent dans l’abîme où marchaient les bataillons anglais. Fait historique selon les uns, fable suivant les autres ; mais la poésie, comme la peinture, a droit de s’emparer de tout sujet douteux. (Note du manuscrit.) — Publié dans le conservateur littéraire et, en partie, dans Victor Hugo raconté.