Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/504

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Cette nuit, en dormant, encor plein de la veille,
Je chantais à tes pieds ; mes chants te semblaient doux ;
J’en recevais le prix de ta lèvre vermeille ;
Tu me livrais ta main, et j’étais ton époux.
Mais ton nom de mon père alla frapper l’oreille ;
Mon père entendit tout. Maintenant tu peux voir
Ce qui fait les ennuis où mon âme est en proie ;
Mon réveil fut suivi du pâle désespoir,
Et mon songe emporta ma joie.

Tu n’as jamais connu mon père courroucé.
« Va, fuis loin de ces bords, fils ingrat et profane !
« Apprends, puisque j’ai su ton amour insensé,
« Le vœu sacré qui te condamne.
« Choisis un cloître obscur qui garde ton secret,
« Ou pour quitter ces lieux nous t’accordons une heure.
« Ta mère, comme moi, te bannit sans regret
« De sa vue et de sa demeure… »
Ma mère, hélas ! elle pleurait.

J’ai fui : mais, chère Emma, sous le coup qui m’afflige,
Sous quels cieux puis-je aller souffrir ?
Croit-on qu’aux champs du nord le rossignol voltige ?
Et, lorsqu’un vent cruel l’arrache de sa tige,
Le lis ailleurs sait-il fleurir ?
Non, banni loin de toi, la tombe est ma retraite ;
Et ton Raymond qui te regrette
Vient ici pleurer et mourir.

Pourtant, j’aurais voulu, vierge aimable et trop chère,
Te revoir avant mon trépas.
Bientôt le dur sommeil va presser ma paupière :
La mort, ô mon Emma, m’eût été moins amère,
De mourir presque dans tes bras.
J’ai contemplé long-temps ta paisible chaumière ;
Incliné vers ton seuil, j’ai cherché sûr la pierre
L’empreinte humide de tes pas.
Et même, en revenant vers ce lieu solitaire,
Bien souvent j’ai tourné mes regards en arrière,
Pour voir si tu ne venais pas.