Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/505

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Je vais m’éteindre, avant que la vieillesse austère
Imprime à mon front sa langueur,
Demain mes vieux parens iront rendre à la terre
Ce corps jeune et plein de vigueur.
Je vais m’éteindre. Enfans du beau ciel d’Ausonie,
Si mes vers imparfaits montrent quelque génie,
Mon nom ne vivra pas toujours.
Ô mon maître chéri, pardonne, amant de Laure,
Car Raymond expirant n’a point conquis encore
La fleur d’or des Sept Troubadours [1].

Oui, comme toi, triste, je pourrais vivre,
N’ayant qu’un luth pour charmer mes ennuis,
Fuyant Emma, dont l’aspect seul m’enivre, .
Et dans les pleurs passant mes longues nuits,
À la douleur mon âme accoutumée
Dans sa prison resterait pour souffrir...
Dis, ô Pétrarque, et toi, ma bien-aimée,
N’est-il pas vrai qu’il vaut bien mieux mourir ?

Adieu, ma belle amante ; adieu, ma tendre mère,
Vous qui m’avez nourri, vous qui m’avez pleuré,
Daignez couvrir encor du linceul funéraire
Ce corps pâle et défiguré ;
Et si, près du cercueil qu’un saint deuil environné,
Un père trop cruel s’arrête avec effroi,
Dites-lui que je lui pardonne,
Et pardonnez-lui comme moi.
Infortuné Pétrarque, isolé dans Vaucluse,
Reçois mon cantique de mort ;
À vivre sans Emma ton Raymond se refuse,
Et je meurs en plaignant ton sort.
Adieu, bords de l’Arno, Toulouse, et toi, Florence,
Adieu, frères, parens, amis ;
Ma jeune épouse, adieu ! l’instant fatal s’avance ;
Adieu surtout, hélas ! la trop douce espérance
Des baisers que tu m’as promis.

  1. Sept troubadours qui composaient le Corps des Jeux Floraux, dans son origine, donnaient, au lauréat une violette D’OR FIN.