Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome I.djvu/640

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Trois monts bâtis par l’homme au loin perçaient les cieux
D’un triple angle de marbre, et dérobaient aux yeux
Leurs bases de cendre inondées ;
Et, de leur faîte aigu jusqu’aux sables dorés,
Allaient s’élargissant leurs monstrueux degrés,
Faits pour des pas de six coudées.

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu’il fût vent de flamme au désert
Qui leur fît baisser la paupière.
Dix vaisseaux au flanc large entraient dans un grand port.
Une ville géante, assise sur le bord,
Baignait dans l’eau ses pieds de pierre.

On entendait mugir le semoun meurtrier,
Et sur les cailloux blancs les écailles crier
Sous le ventre des crocodiles.
Les obélisques gris s’élançaient d’un seul jet.
Comme une peau de tigre, au couchant s’allongeait
Le Nil jaune, tacheté d’îles.

L’astre-roi se couchait. Calme, à l’abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d’or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l’un de l’autre.

*

— Où faut-il s’arrêter ? dit la nuée encor.
— Cherche ! dit une voix dont trembla le Thabor.