Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/33

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Tout ce peuple inquiet, plein de confuses voix,
Je rêvai. Cependant la vieille vers la Grève
Poursuivait son chemin en me laissant mon rêve,
Comme l’oiseau qui va, dans la forêt lâché,
Laisse trembler la feuille où son aile a touché.

Oh ! disais-je, la main sur mon front étendue,
Philosophie, au bas du peuple descendue !
Des petits sur les grands grave et hautain regard !
Où ce peuple est venu, le peuple arrive tard ;
Mais il est arrivé. Le voilà qui dédaigne !
Il n’est rien qu’il admire, ou qu’il aime, ou qu’il craigne.
Il sait tirer de tout d’austères jugements,
Tant le marteau de fer des grands événements
A, dans ces durs cerveaux qu’il façonnait sans cesse,
Comme un coin dans le chêne enfoncé la sagesse !

Il s’est dit tant de fois : — Où le monde en est-il ?
Que font les rois ? à qui le trône ? à qui l’exil ? —
Qu’il médite aujourd’hui, comme un juge suprême,
Sachant la fin de tout, se croyant en soi-même
Assez fort pour tout voir et pour tout épargner,
Lui qu’on n’exile pas et qui laisse régner !

La cour est en gala, pendant qu’au-dessous d’elle,
Comme sous le vaisseau l’Océan qui chancelle,
Sans cesse remué, gronde un peuple profond
Dont nul regard de roi ne peut sonder le fond.

Démence et trahison qui disent sans relâche :
— Ô rois, vous êtes rois ! confiez votre tâche
Aux mille bras dorés qui soutiennent vos pas.
Dormez, n’apprenez point et ne méditez pas,
De peur que votre front, qu’un prestige environne,
Fasse en s’élargissant éclater la couronne ! —

Ô rois, veillez, veillez ! tâchez d’avoir régné.