Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome II.djvu/470

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Comme un muet qui sait le mot d’un grand secret
Et dont la lèvre écume à ce mot qu’il déchire,
Il semble par moment qu’elle voudrait tout dire.
Mais Dieu le lui défend ! En vain vous écoutez.
Aucun verbe en ces bruits l’un par l’autre heurtés !
Cette chanson qui sort des campagnes fertiles,
Mêlée à la rumeur qui déborde des villes,
Les tonnerres grondants, les vents plaintifs et sourds,
La vague de la mer, gueule ouverte toujours,
Qui vient, hurle, et s’en va, puis sans fin recommence,
Toutes ces voix ne sont qu’un bégaiement immense !

L’homme seul peut parler et l’homme ignore, hélas !
Inexplicable arrêt ! quoi qu’il rêve ici-bas,
Tout se voile à ses yeux sous un nuage austère.
Et l’âme du mourant s’en va dans le mystère !
Aussi repousser Rome et rejeter Sion,
Rire, et conclure tout par la négation,
Comme c’est plus aisé, c’est ce que font les hommes.
Le peu que nous croyons tient au peu que nous sommes.

Puisque Dieu l’a voulu, c’est qu’ainsi tout est mieux !
Plus de clarté peut-être aveuglerait nos yeux.
Souvent la branche casse où trop de fruit abonde.
Que deviendrons-nous si, sans mesurer l’onde,
Le Dieu vivant, du haut de son éternité,
Sur l’humaine raison versait la vérité ?
Le vase est trop petit pour la contenir toute.

Il suffit que chaque âme en recueille une goutte,
Même à l’erreur mêlée ! Hélas ! tout homme en soi
Porte un obscur repli qui refuse la foi.
Dieu ! la mort ! mots sans fond qui cachent un abîme !
L’épouvante saisit le cœur le plus sublime
Dès qu’il s’est hasardé sur de si grandes eaux.
On ne les franchit pas tout d’un vol. Peu d’oiseaux
Traversent l’océan sans reposer leur aile.
Il n’est pas de croyant si pur et si fidèle