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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/124

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LA PITIÉ SUPRÊME.


Et cet homme, du haut du balcon de Versaille,
Lui montre au loin la foule énorme qui tressaille
Et s’agite et se meut, bonne et calme d’ailleurs,
Le grand fourmillement des hommes travailleurs,
Les pas, les fronts, les yeux, l’ouvrier aux bras rudes,
Les ondulations des vastes multitudes,
La ville aux mille bruits vivants, graves et doux,
Et dit à cet enfant : Tout ce peuple est à vous !

— Vous avez ces enfants, ces hommes et ces femmes ;
Vous possédez les corps, vous possédez les âmes ;
À vous leur toit, à vous leur or, à vous leur sang ;
Le champ et la maison sont à vous ; ce passant
Vous appartient ; soufflez si vous voulez qu’il meure ;
Toute vie est à vous, en tous lieux, à toute heure ;
Ce vieillard au front chauve est une chose à vous ;
Tous les hommes sont faits pour plier les genoux.
Vous seul êtes créé pour vivre tête haute ;
Tous se trompent, vous seul ne faites pas de faute ;
Dieu ne compte que vous, vous seul, au milieu d’eux ;
Votre droit est le droit de Dieu même ; et tous deux
Vous régnez ; devant vous le monde doit se taire ;
Dieu n’a pas le ciel plus que vous n’avez la terre ;
Il est votre pensée et vous êtes son bras ;
Il est roi de là-haut et vous Dieu d’ici-bas.
Tout ce peuple est à vous. —

Tout ce peuple est à vous Le pauvre enfant écoute.

Qui donc vient de parler ? C’est le démon sans doute ;
Non, c’est l’homme ; fatal parce qu’il est rampant ;
Le courtisan est fait du ventre du serpent.
Affreux souffle embaumé de la bouche pourrie !
Crime ! ô le plus hideux des meurtres, flatterie !
Ô de tous les poisons le plus lâche, le miel !
Crever les yeux d’une âme à peine hors du ciel !
Submerger dans l’orgueil une raison qui flotte !