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LE PAPE SUR LE SEUIL DU VATICAN.

Et que cette richesse et que tous ces trésors
Et que l’effrayant luxe usurpé dont je sors
Ne me maudiront pas d’avoir, vécu, fantôme,
Dans cette pourpre, moi qui suis fait pour le chaume !
La conscience humaine est ma sœur, et je vais
Lui parler ; j’ai pour loi de haïr le mauvais
Sans haïr le méchant ; je ne suis plus qu’un moine
Comme Basile, comme Honorat, comme Antoine ;
Je ne chausserai plus la sandale où la croix
S’étonne du baiser parfois sanglant des rois.
Peuples, jadis Noé sortit rêveur de l’arche ;
Je sors aussi. Je pars. Et je me mets en marche
Sur la terre, au hasard, sous le haut firmament,
Dans l’aube ou dans l’orage, ayant pour vêtement,
Si cela plaît au ciel, la pluie et la tempête,
Sans savoir où le soir je poserai ma tête,
N’ayant rien que l’instant, et les instants sont courts ;
Je sais que l’homme souffre, et j’arrive au secours
De tout esprit qui flotte et de tout cœur qui sombre ;
Je vais dans les déserts, dans les hameaux, dans l’ombre,
Dans les ronces, parmi les cailloux du ravin,
Errer comme Jésus, le va-nu-pieds divin.
Pour celui qui n’a rien, c’est s’emparer du monde,
Que de marcher parmi l’humanité profonde,
Que de créer des cœurs, que d’accroître la foi,
Et d’aller, en semant des âmes, devant soi !
Je prends la terre aux rois, je rends aux Romains Rome,
Et je rentre chez Dieu, c’est-à-dire chez l’Homme.
Laisse-moi passer, peuple. Adieu, Rome.