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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/263

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DES VOIX.

Et les êtres sans nom, et les formes immondes,
Et les vagues tumeurs du cloaque des mondes ?
Te représentes-tu l’indicible stupeur
De ce qui s’entrevoit dans l’ombre, et se fait peur ;
Ici la marche lourde, ailleurs la fuite prompte ;
Le double effroi d’en haut, d’en bas, qui se confronte ;
Le vent fauve traînant le nuage en haillon ;
Le météore ayant horreur du tourbillon ?
Connais-tu les deux nuits : la morte et la vivante ;
La vivante, engendrant le monstre, l’épouvante,
L’hydre, les dévorant sans fin et les créant ;
La morte, c’est-à-dire un vide, le néant,
Une ouverture aveugle et par l’effroi formée,
De l’ombre qui n’est plus même de la fumée,
Le silence hideux et funèbre de Rien ?

AUTRE VOIX

Quand on sent se mouvoir l’universel lien
Qui joint le plus petit des atomes à l’être
Le plus démesuré que le gouffre ait vu naître,
Et qui fait, dans l’abîme où rien n’est endormi,
Tressaillir Sirius au poids d’une fourmi,
Quand les germes confus dans les ombres profondes
S’agitent, détruisant et produisant des mondes,
Mêlés aux voix, aux sons, aux chants, aux cris, aux pas,
Faisant et défaisant, et ne le sachant pas,
Quand l’azur semble ému, bien au delà des nues,
Par une éclosion d’étoiles inconnues,
Lorsqu’en soi, stupéfait, on sent et l’on comprend
Quelque chose de fort fait par quelqu’un de grand,
Quand l’eau fuit, quand le sol tremble, quand l’air murmure,
Quand de la forêt sombre il sort un bruit d’armure,
Quand l’oiseau sur son nid, dans les bois frémissants,
Chante un chant dont lui-même il ignore le sens,
L’immensité du fait prodigieux dépasse
L’ombre, le jour, les yeux, les chocs, le temps, l’espace,