Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
319
COLÈRE DE LA BÊTE.

Puis la terre, encor fange, au fond de l’eau s’amasse ;
Sur cette vase on voit ramper une limace,
C’est l’hydre, c’est la vie ; et la mer s’arrondit
Autour d’un point qui sort des eaux et qui verdit ;
C’est l’île surgissant des profondeurs béantes ;
Des vers titans parmi des fougères géantes
Fourmillent ; et du bord des boueux archipels
Des colosses se font de monstrueux appels ;
L’hippopotame sort de l’immense onde obscure,
Le serpent cherche un flanc où plonger sa piqûre,
De vaste millepieds se traînent, le kraken
Semble un rocher vivant sous l’algue et le lichen,
Et le poulpe, agitant sa touffe contractile,
Tâche d’étreindre au vol l’affreux ptérodactyle ;
Puis des millions d’ans se passent ; du roseau
Sort l’arbre, et l’air devient respirable à l’oiseau,
Et la chauve-souris décroît, et voici l’aigle,
Le vent fraîchit, le flot baisse, la mer se règle,
L’île soudée à l’île ébauche un continent,
Et l’homme apparaît nu, pensif et rayonnant ;
C’est fini ; l’aube émerge, et le recul immense
Des monstres, du chaos, des ténèbres, commence ;
La tempête de l’être a cessé de souffle ;
Et l’on entend des voix sur la terre parler ;
Le typhon s’amoindrit et devient l’infusoire ;
Et l’antique bataille, inextinguible et noire,
Du dragon et de l’hydre, avec son fauve bruit,
Fuit dans le microscope et se perd dans la nuit ;
L’effrayant désormais plonge dans l’invisible ;
L’infiniment petit s’ouvre, gouffre terrible ;
L’épouvante s’éclipse après avoir régné ;
L’horreur, devant Adam qui doit être épargné,
Pas à pas rétrograde et rentre inassouvie
Dans cet enfoncement sinistre de la vie ;
L’azur prodigieux s’épanouit au ciel.

Et maintenant, savant, penseur officiel,