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L’ÂNE.

Là, par Christ plus Moïse, ici, par A plus B.
Que veut ce songe creux ? et de quelles cavernes
Sort-il pour nous conter de telles balivernes ?
Avoir du temps passé jeté le vieux bâton,
Quel crime ! S’appeler Gutenberg ou Fulton,
Quel cynisme ! Aller seul ! l’audace est fabuleuse !
Si c’est Flamel, Cardan, Saint-Simon ou Deleuze,
Pour en avoir raison l’éclat de rire est là ;
Si c’est Jordan Bruno, si c’est Campanella
Qui le premier a dit : — Les soleils sont sans nombre, —
Qu’il se sauve ; sinon, demain, le bûcher sombre
Lui mettra la fumée et la nuit dans les yeux,
Et l’affreux tourbillon des braises, envieux,
Châtiera ce rêveur du tourbillon des astres ;
Harvey mourra moqué de tous les médicastres ;
Kind raillera Képler, et tous les culs-de-plomb
Ferreront cet oiseau de l’océan, Colomb.
Vois, Socrate, par qui le genre humain se hausse,
Blêmit sinistrement dans une basse fosse ;
Deux siècles avant l’heure où Vasco les verra,
Dante, œil mystérieux que Dieu même éclaira,
Voit à travers la terre, énorme et sombre geôle,
Les quatre étoiles d’or qui sont à l’autre pôle ;
Il le dit ; on le chasse ; et c’est ainsi toujours.
Dès qu’un flambeau paraît, l’homme crie : Au secours !
Qui l’éclaire ou le sert l’irrite ; le génie
Est une infraction sévèrement punie ;
Toujours vous proscrivez le grand homme fatal,
Sauf à lui dédier plus tard un piédestal ;
Vos bienfaiteurs, penseurs et sages, ont beau dire :
— Cherchons et triomphons ! l’infini nous attire ;
Dans l’océan Progrès il n’est point de cap Non ! —
L’homme réplique : exil, ciguë et cabanon ;
Et l’histoire en est pleine, et tous ces Hérodotes
Content sous divers noms ces douces anecdotes.
J’ajoute : quelquefois le front des hauts songeurs
Se fend, l’idée ayant de trop grandes largeurs,