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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome IX.djvu/397

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COLÈRE DE LA BÊTE.

XI

TRISTESSE FINALE.


L’âne continua, car la nature approuve
Ce couple, âne parlant, philosophe écoutant :

— Tu vois un être grave, imposant, important,
Un âne sérieux, complet, bon pour tout lire,
Un docteur. Kant, c’est vrai, je sais tout, c’est-à-dire
Je suis à la fois juif, parsi, turc, arien.
J’entends dans mon cerveau bourdonner en tumulte
Le blanc, le noir, amen, raca, la foi, l’insulte,
Genève, Rome, Alcuin d’où sort Calvin, oui, non,
Cujas en droit civil, Flandrin en droit canon,
L’histoire aux pieds des rois, cette prostituée,
L’abac et l’alphabet, et toute la nuée
Des érudits poussifs et des rhéteurs fourbus
Depuis Sabbathius jusqu’à Molaribus !
Le fait d’hier s’y heurte à la chronique ancienne,
Henri de Gand s’y croise avec Sixte de Sienne ;
Et je ne comprends rien à tout ce morne bruit
Sinon qu’ayant cherché le jour, je vois la nuit.
Du reste il est certain que, dans cette ombre noire
Qui sort de l’encre horrible et qu’on nomme grimoire,
À travers ces bouquins où l’homme est si petit,
C’est à moi qu’au total la science aboutit,
Car, à ce blême jour dont la lueur avare
Joint le docteur d’Oxford au docteur de Navarre,
J’ai vu de toutes parts, sur les vieux parchemins,
L’ombre de mon profil tomber des fronts humains.