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LE PAPE.


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UN CHAMP DE BATAILLE
DEUX ARMÉES EN PRÉSENCE
LE PAPE


J’ai peur. Je sens ici comme une âme terrible.
L’homme est la flèche, ô cieux profonds, l’homme est la cible !
Mais quel est donc le bras qui tend cet arc affreux ?
Pourquoi ces hommes-ci s’égorgent-ils entr’eux ?
Quoi ! peuple contre peuple ! ô nations trompées !

(S’avançant entre les deux armées.)

De quel droit avez-vous les mains pleines d’épées ?
Que faites-vous ici ? Qu’est-ce que ces pavois ?
Que veulent ces canons ? Hommes que j’entrevois,
Dans l’assourdissement des trompettes farouches,
Plus forts que des lions et plus vains que des mouches,
Pour le plaisir de qui vous exterminez-vous ?
Tous n’avez qu’un seul droit, c’est de vous aimer tous.
Dieu vous ordonne d’être ensemble sur la terre.
Dieu, sous sa douce loi, cache un devoir austère ;
Comme à l’érable, au chêne, à l’orme, au peuplier,
Il vous a dit de croître et de multiplier.
Aimez-vous. Les palais doivent la paix aux chaumes.
Ô rois, des deux côtés vous voyez des royaumes,
Des fleuves, des cités, la terre à partager,
Des droits pareils aux loups cherchant à se manger,
Des trônes se gênant, les clairons, les chimères,
La gloire ; et moi je vois dés deux côtés des mères.
Je vois des deux côtés des cœurs désespérés.
Je vois l’écrasement des sillons et des prés,