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LE PAPE.

Vous entrerez dans l’ombre en foule, pêle-mêle,
Sans que vous puissiez dire au sépulcre pourquoi.
Oui, du moment que c’est décrété par un roi,
Par un czar, un porteur quelconque de couronne,
Sans rien comprendre au bruit menteur qui l’environne,
À tâtons, sans Savoir si l’on est un bandit,
On n’écoute plus rien ; battez, tambours, c’est dit ;
Vite, il faut qu’on se heurte, il faut qu’on se rencontre,
Qu’un aveugle soit pour parce qu’un sourd est contre !
Vous mourez pour vos rois. Eux, ils ne sont pas là.
Et vous avez quitté vos femmes pour cela !
Vous jeunes, vous nombreux et forts, malgré leurs larmes,
Vous vous êtes laissés pousser par des gendarmes
Aux casernes ainsi qu’un troupeau par des chiens !
En guerre ! allez, Prussiens ! allez, Autrichiens !
Ici la schlague, et là le knout. Lauriers, victoire.
À grands coups de bâton on vous mène à la gloire.
Vous donnez votre force inepte à vos bourreaux
Les rois, comme en avant du chiffre les zéros.
Marchez, frappez, tuez et mourez, bêtes brutes !
Et vos maîtres, pendant vos exécrables luttes,
Boivent, mangent, sont gais et hautains ; et, contents,
Repus, ont autour d’eux leurs crimes bien portants ;
Vous allez être un tas de cadavres dans l’herbe,
Laissant derrière vous, sous le soleil superbe
Et sous l’étonnement des cieux, de vieux parents,
Et dans des berceaux, plaints par les nids murmurants,
Ô douleur, des petits aux regards de colombe ! ―
Eh bien non ! je me mets entre vous et la tombe.
Je ne veux pas ! Tremblez, c’est moi. Je vous défends
De vous assassiner, monstres ! ― ô mes enfants ! ―
Jetez-vous dans les bras les uns des autres, frères !
Quoi ! l’on verrait en vous, dans ces champs funéraires,
Léviathan revivre et renaître Python !
Hommes, Humanité ! se représente-t-on
Les arbres des forêts qui se feraient la guerre,
Qui, soudain furieux, eux si calmes naguère,