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UN CHAMP DE BATAILLE.

Deviendraient des dragons mêlant leurs bras hideux,
Faisant tourbillonner la tempête autour d’eux.
Et jetant et broyant les fleurs, les plumes blanches,
Les nids, dans la bataille effroyable des branches !
Eh bien, sous l’affreux vent soufflant on ne sait d’où,
Vous êtes ce chaos prodigieux et fou !
Ah ! vous vous enivrez d’une vanité noire !
Vous êtes des vaincus, ô rêveurs de victoire,
Vous êtes les vaincus des rois, et sur le dos
Vous portez leur grandeur, leur néant, ces fardeaux ;
L’ombre des rois vous suit, vous tient, vous accompagne ;
Vous êtes des traîneurs de boulet comme au bagne ;
L’orgueil, leur garde-chiourme, est à votre côté ;
Vous avez cette honte au pied, leur majesté !
Débarrassez-vous-en, brisez-moi cette chaîne !
Sortez des quatre murs sanglants de la géhenne,
Ignorance, colère, orgueil, mensonge, à bas !
Hommes, entendez-vous. Vivez. Plus de combats.
Non, la terre d’horreur ne sera pas noyée.
Vous êtes l’innocence imbécile employée
Aux forfaits, et les bras utiles devenus
Scélérats, et je suis celui qui vient pieds nus
Vous supplier, lions, tigres, d’être des hommes.
Il est temps de laisser cette terre où nous sommes
Tranquille, et de permettre aux fleurs, aux blés épais,
Aux vignes, aux vergers bénis, de croître en paix ;
Il est temps que l’azur brille sur autre chose
Que de la haine, et l’aube est souriante et rose
Pour que nous soyons doux comme elle. Obéissons
À la vie, à l’aurore, aux berceaux, aux moissons.
Ne sacrifions pas le monde à quelques hommes.
Soyez de votre sang vénérable économes.
Non, il ne se peut pas qu’un choc tumultueux
D’hommes ivres, pour plaire aux princes monstrueux,
Épouvante ces champs où Dieu met sa lumière.
Quoi ! des mères seront en deuil dans leur chaumière,
Quoi ! des bras se tordront sous les cieux étoiles !