Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/393

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Le peuple, qui se fait chaque jour moins difforme,
Et qui deviendra grand sans cesser d’être énorme.

Oui, l’Averne terrestre avec ses Ixions,
Le poème hagard des malédictions,
Gueux, cagoux, malingreux, bohémiens, marranes,
Le menton bestial du paria, les crânes
Que sous son bas plafond l’ignorance a faits plats,
Les fauves suppliants, tout ce qui dit : hélas !
Sylvains et paysans entrevus sous les lierres,
Lèvres avec l’injure et le cri familières,
L’oreille où s’est empreint le pavé, dur chevet,
La maigreur que la loque en grelottant revêt,
Le maraud, le manant, le prolétaire blême
À qui Malthus dit : Meurs ! quand Jésus lui crie : Aime !
Les pauvres frémissant de se sentir bandits,
La lèpre des cloisons malsaines du taudis
Gagnant l’habitant sombre, et passant, incurable,
Du mur de la misère au front du misérable,
Idiots, mendiants râlant sur les chemins,
Tout le fourmillement des cloportes humains,
Le berceau condamné, l’innocence punie,
Les mourants éternels de la grande agonie,
Un Pélion hideux sous un splendide Ossa,
Voilà ce que ton bras titanique entassa !
Et, tandis qu’on sculptait, pour le sceptre et l’épée,
Le bronze dithyrambe et le marbre épopée,
Ô poëte, tu fis grimacer à jamais
Sous les guerriers d’airain des lumineux sommets,
Sous les déesses d’aube et de blancheur vêtues,
Les masques, populace horrible des statues !

Et pour égayer l’œuvre étrange, dans ce tas
De maux, de désespoirs, de sanglots, tu jetas
Toute une parodie infernale et farouche,
Brusquet, Guillot Gorju, Turlupin, Scaramouche,
Tous les spectres qui font trembler de leurs discours