Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/395

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Avoir multiplié Méduse sur ce mur
Où l’art vertigineux ouvre son œil obscur ;
Évoquer le vieillard, l’homme, l’enfant, la femme ;
Effarer le granit et le pénétrer d’âme ;
Faire pleurer la pierre et la désespérer ;
Ouvrir tout l’horizon du gouffre, et l’ignorer !
Être, sans s’en douter, le précurseur terrible ;
Être, sans le savoir, Titan ; est-ce possible ?

Dieu ! collaborateur ténébreux et serein !
Qui sait si le génie, effrayant souverain
À qui les astres font dans l’ombre un diadème,
A l’intuition totale de lui-même ?
Oh ! de l’esprit humain ces grands amphictyons,
Dante, Isaïe, Eschyle, ― étranges questions ! ―
Cervante et Rabelais, savaient-ils leur empire ?
Shakspeare, ô profondeurs ! voyait-il tout Shakspeare ?
Molière par Molière était-il ébloui ?
Qui pourrait dire non ? Qui pourrait dire oui ?

Qu’importe ! Après avoir mis ce deuil sur ce râle,
Le sculpteur est rentré dans sa nuit sidérale,
Calme et sombre, et léguant aux siècles ce tableau :
La passion du peuple et le tourment de l’eau !
Et maintenant passez, et tâchez de comprendre !
Homère savait-il qu’il faisait Alexandre ?
Socrate savait-il qu’il engendrait Jésus ?
Ô gouffres de l’esprit vaguement aperçus !
Amer Germain Pilon qui dans la nuit nous plonges,
Qui sait, dans le dédale insensé de tes songes,
À quelle porte d’ombre et d’horreur tu frappas ?
Qui sait si ton poëme inouï ne vient pas
De plus loin que la terre et de plus haut que l’homme,
Des profondeurs que nul ne connaît et ne nomme,
Du précipice ouvert au delà du cercueil ?
Qui sait si tu n’as point contemplé l’affreux deuil
De la nature immense, et si, funèbre artiste,