Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/397

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Or, tandis que les eaux fuyaient, mouvants miroirs,
En voyant les trois rois marcher sur les quais noirs,
Les masques monstrueux éclatèrent de rire,
Éclat si ténébreux et plein d’un tel martyre
Qu’aujourd’hui même, après que tant de flots d’oubli
Ont coulé sous ce pont chancelant et vieilli
Depuis la sombre nuit qu’en frissonnant j’éclaire,
Plusieurs des mascarons du fronton séculaire
En gardent le reflet dans leur œil flamboyant,
Et sont encor fendus de ce rire effrayant.

Et celui qui riait le plus haut dans le gouffre,
Larve ayant dans les dents une lueur de soufre,
Face mystérieuse aux cyniques sourcils
Soudain épanouie en fauve Némésis,
Jeta ce cri :

Jeta ce cri : ― Troupeau, tourbe, foule hagarde,
Manants, réveillez-vous ! populace, regarde ;
Ouvrez vos yeux obscurs de larmes chassieux ;
Voici trois de vos rois qui marchent sous les cieux.
Leur front a la noirceur que laisse un diadème.
Ils ont plus d’ombre en eux que n’en a la nuit même,
Car c’est après la mort le sort de tous ces dieux
Plus ténébreux, ayant été plus radieux.
Ils vont. Où donc vont-ils ? Allez ! allez ! qu’importe !
Vous n’avez pas besoin qu’on vous pousse la porte,
Rois ! la route est pavée et large est le terrain ;
Allez ! ― L’un est en marbre et deux sont en airain ;
Ces rois sont faits des cœurs de tous les rois leurs pères. ―
Vous tous, réveillez-vous au fond de vos repaires,
Serfs qui depuis mille ans traînez l’immense croix,