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évoque ne lui apportent pas ce qu’il n’a jamais eu.

…Ce qui manque à M. Hugo encore plus que l’esprit, c’est le tact ; encore plus que le tact, c’est la mesure. La mesure ! Tâchons de l’observer en parlant de cet octogénaire de Grenade qui a bien raison de vivre longtemps, mais qui a tort de s’obstiner à produire quand il lui serait si facile de remiser son génie dans sa gloire.


M. de Pontmartin conteste à Victor Hugo l’esprit. Il est le seul, car la critique est unanime à admirer la verve, l’ironie, l’esprit du poète ; mais il ne pouvait résister au plaisir de faire un mauvais jeu de mot. L’écrivain septuagénaire de la Gazette de France reproche à cet octogénaire de s’obstiner à produire ; c’est là peut être où il manque de « tact », parce qu’il manque aussi de renseignements. Il veut bien reconnaître que Victor Hugo a donné de fort « belles œuvres », « dans ses plus beaux temps », c’est-à-dire entre autres les Contemplations et la Légende des Siècles. Or les poésies des Quatre vents de l’Esprit sont en majorité contemporaines des Contemplations et de la Légende des Siècles, mais M. de Pontmartin l’ignorait. Le plus vigoureux des poèmes, la Révolution, a été écrit en 1857, dans cette magnifique période où le génie du poète était dans sa pleine floraison.

Nous convenons sans doute que l’écrivain royaliste n’avait pas contre Louis XV les mêmes colères et les mêmes indignations que Victor Hugo. Mais s’il eût su que les Quatre vents de l’Esprit dataient des « beaux temps », qu’ils étaient prêts à paraître en 1870, que leur publication avait été ajournée, il n’eût pas dit que Victor Hugo s’obstinait à produire, et avec un peu plus de clairvoyance, plus de sang-froid et plus de jugement il aurait découvert que les deux volumes étaient puisés aux sources des plus puissantes inspirations du poète, à l’époque des grands chefs-d’œuvre.

C’est dans les fragments d’articles des critiques qu’on trouvera la plus solide et la plus éclatante réfutation des badinages de M. de Pontmartin :


Le Gil Blas.
Louis Ulbach.

…Victor Hugo passe, jetant sa voix sonore aux quatre points cardinaux de l’esprit, à la satire, au drame, au lyrisme, à l’épopée. Il donne le vertige à ceux qui se croyaient assurés de n’en plus avoir en le contemplant ; il déconcerte ceux qui croyaient avoir achevé le programme de leur admiration ; il effondre d’un coup d’aile de son attelage les portes déjà mises en mouvement de son génie ; il oblige les éditeurs de son édition complète à la confesser incomplète ; il s’évade de sa gloire, qu’il sème en lambeaux lumineux sur sa route, pour aller la dresser plus près de Dieu. Les amis qui travaillent à sa statue relèvent la tête au bruit de son passage et rêvent maintenant, au lieu d’un poète pensif sur un socle de bronze ou de marbre, une vision comme celle que Mercié a suspendue au Louvre : le génie emporté d’un vol superbe dans l’infini.

Voilà le sentiment qui me reste de la première lecture de ces deux volumes. Il me semble pour ma part que je n’ai jamais applaudi, admiré, aimé, compris Victor Hugo, tant j’éprouve cette fois le besoin d’applaudir cette forme souple, facile, puissante, tant les vers à mettre en circulation comme des maximes frappées sur des médailles d’or sont nombreux, tant l’inspiration m’entraîne, tant l’émotion me trouble, tant l’idée est claire, simple.

Chateaubriand l’a salué enfant sublime, il faut le saluer vieillard sublime ; ce qu’on croyait le couchant est encore une aurore, et toutes les fêtes de notre gratitude sont à recommencer.


Le Siècle.
Edmond Texier.

Avant d’aborder cette œuvre incomparable, qui restera la plus haute fortune littéraire de ces dernières années, je ne crains pas de dire que l’admiration est une des formes de la critique et même la seule forme quand il s’agit