Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/187

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Cependant, à peine entré dans l’appartement de l’ex-chancelier, le visage, vénérable, quoique morose, du vieillard l’avait frappé ; la figure douce, quoique fière, d’Éthel l’avait attendri ; et le premier aspect des deux prisonniers avait déjà dissipé la moitié de sa sévérité.

Il s’avança vers le ministre tombé, et lui tendit involontairement la main en disant, sans s’apercevoir que l’autre ne répondait pas à sa politesse :

— Salut, comte de Griffenf… — C’était la surprise d’une vieille habitude. Il se reprit précipitamment : — Seigneur Schumacker ! — Puis il s’arrêta, tout satisfait et tout épuisé d’un tel effort.

Il se fit une pause. Le général cherchait dans sa tête quelles paroles assez sévères pourraient dignement répondre à la dureté de ce début.

— Eh bien, dit enfin Schumacker, vous êtes le gouverneur du Drontheimhus ?

Le général, un peu surpris de se voir questionné par celui qu’il venait interroger, fit un signe affirmatif.

— En ce cas, reprit le prisonnier, j’ai une plainte à vous faire.

— Une plainte ! laquelle ? laquelle ? et le visage du noble Levin prenait une expression d’intérêt.

Schumacker continua d’un air d’humeur :

— Un ordre du vice-roi prescrit qu’on me laisse libre et tranquille dans ce donjon.

— Je connais cet ordre.

— Seigneur gouverneur, on se permet pourtant de m’importuner et de pénétrer dans ma prison.

— Qui donc ? s’écria le général ; nommez-moi celui qui ose…

— Vous, seigneur gouverneur.

Ces paroles, prononcées d’un ton hautain, blessèrent le général. Il répondit d’une voix presque irritée :

— Vous oubliez que mon pouvoir, lorsqu’il s’agit de servir le roi, ne connaît point de limites.

— Si ce n’est, dit Schumacker, celles du respect qu’on doit au malheur. Mais les hommes ne savent pas cela.

L’ex-grand-chancelier parlait ainsi, comme s’il se fût parlé à lui-même. Il fut entendu du gouverneur.

— Si vraiment, si vraiment ! J’ai eu tort, comte de Griff… seigneur Schumacker, veux-je dire ; je devais vous laisser la colère, puisque j’ai la puissance.

Schumacker se tut un instant.

— Il y a, reprit-il pensif, dans votre visage et dans votre voix, seigneur gouverneur, quelque chose d’un homme que j’ai connu jadis. Il y a bien