Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/196

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— Oh ! oh ! reprend l’hôte de la ruine d’Arbar, ce n’est pas un homme ; mais c’est toujours un ennemi ; c’est un loup.

En effet, un grand loup sort subitement de dessous la voûte de la galerie, s’arrête un moment ; puis s’approche obliquement vers l’homme, le ventre à terre et fixant sur lui des yeux ardents qui étincellent dans l’ombre. Celui-ci, toujours debout et les bras croisés, le regarde.

— Ah ! c’est le vieux loup au poil gris ! le plus vieux loup des forêts du Smiasen. — Bonjour, loup ; tes yeux brillent ; tu es affamé, et l’odeur des cadavres t’attire. — Tu attireras aussi bientôt les loups affamés. — Sois le bienvenu, loup du Smiasen ; j’ai toujours eu envie de te rencontrer. Tu es si vieux qu’on dit que tu ne peux mourir. — On ne le dira plus demain.

L’animal répondit par un hurlement affreux, fit un soubresaut en arrière et s’élança d’un bond sur le petit homme.

Celui-ci ne recula point d’un pas. Aussi prompt que l’éclair, de son bras droit il étreignit le ventre du loup, qui, debout en face de lui, avait jeté ses deux pattes de devant sur ses épaules ; de la main gauche, il garantit son visage de la gueule béante de son ennemi, en lui saisissant le gosier avec une telle force, que l’animal, contraint de lever la tête, put à peine articuler un cri de douleur.

— Loup du Smiasen, dit l’homme triomphant, tu déchires ma casaque, mais ta peau la remplacera.

Au moment où il mêlait à ces paroles de victoire quelques paroles d’un jargon bizarre, un effort convulsif du loup à l’agonie le fit trébucher contre les pierres qui parsemaient la salle. Ils tombèrent tous deux, et les rugissements de l’homme se confondirent avec les hurlements de la bête.

Obligé dans sa chute de lâcher le gosier du loup, le petit homme sentait déjà les dents tranchantes s’enfoncer dans son épaule, quand, en se roulant l’un sur l’autre, les deux combattants heurtèrent une énorme masse blanche velue qui gisait dans la partie la plus ténébreuse de la salle.

C’était un ours, qui se réveilla de son lourd sommeil en grondant.

À peine les yeux paresseux de ce nouveau personnage se furent-ils assez ouverts pour distinguer la lutte, qu’il se précipita avec fureur, non sur l’homme, mais sur le loup, qui en ce moment triomphait à son tour, le saisit violemment de sa gueule par le milieu du corps, et dégagea ainsi le combattant à face humaine.

L’homme, loin de se montrer reconnaissant d’un si grand service, se releva tout ensanglanté, et, s’élançant sur l’ours, lui donna un vigoureux coup de pied dans le ventre, comme un maître à son chien lorsqu’il a commis quelque faute.

— Friend ! qui est-ce qui t’appelle ? De quoi te mêles-tu ?