Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/197

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Ces mots étaient entrecoupés d’interjections furibondes et de grincements de dents.

— Va-t’en ! ajouta-t-il en rugissant.

L’ours, qui avait reçu à la fois un coup de pied de l’homme et un coup de dent du loup, fit entendre une sorte de murmure plaintif ; puis, baissant sa lourde tête, il lâcha l’animal affamé, qui se jeta sur l’homme avec une rage nouvelle.

Pendant que la lutte continuait, l’ours rebuté retourna à la place où il dormait, s’assit gravement en laissant errer sur les deux ennemis furieux un regard indifférent, et garda le plus paisible silence, en passant alternativement chacune de ses pattes de devant sur l’extrémité de son museau blanc.

Mais le petit homme, au moment où le doyen des loups du Smiasen était revenu à la charge, avait saisi le mufle sanglant de la bête ; puis, par un effort inouï de force et d’adresse, il était parvenu à emprisonner la gueule tout entière dans sa main. Le loup se débattait avec des élancements de rage et de douleur ; une écume livide tombait de ses lèvres comprimées, et ses yeux, comme gonflés de colère, semblaient sortir de leur orbite. Des deux adversaires, celui dont les os étaient broyés par des dents aiguës, les chairs déchirées par des ongles brûlants, ce n’était pas l’homme, mais la bête féroce ; celui dont le hurlement avait l’accent le plus sauvage, l’expression la plus farouche, ce n’était point la bête fauve, mais l’homme.

Enfin celui-ci, ramassant toutes ses forces épuisées par la longue résistance du vieux loup, serra le museau de ses deux mains avec une telle vigueur, que le sang jaillit des narines et de la gueule de l’animal ; ses yeux de flamme s’éteignirent et se fermèrent à demi ; il chancela et tomba inanimé aux pieds de son vainqueur. Le mouvement faible et continuel de sa queue et les tremblements convulsifs et intermittents qui couraient par tout son corps annonçaient seuls qu’il n’était pas encore tout à fait mort.

Tout à coup une dernière convulsion ébranla l’animal expirant, et les symptômes de vie cessèrent.

— Te voilà mort, loup cervier ! dit le petit homme en le poussant du pied avec dédain ; est-ce que tu croyais vieillir encore après m’avoir rencontré ? Tu ne courras plus à pas sourds sur les neiges en suivant l’odeur et les traces de ta proie ; te voilà toi-même bon pour les loups ou les vautours ; tu as dévoré bien des voyageurs égarés autour du Smiasen durant ta longue vie de meurtre et de carnage ; maintenant, tu es mort toi-même, tu ne mangeras plus d’hommes ; c’est dommage.

Il s’arma d’une pierre tranchante, s’accroupit sur le corps chaud et palpitant du loup, rompit les jointures des membres, sépara la tête des épaules, fendit la peau dans toute sa longueur sur le ventre, la détacha comme on