Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/268

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en rang, et cette bande de rebelles, un moment auparavant si tumultueuse, ne fut plus, dans ces déserts rembrunis par les approches de la nuit, que comme une troupe de fantômes muets, qui se promène sans bruit dans les sentiers tortueux d’un cimetière.

Cependant la route qu’ils suivaient se rétrécissait de moment en moment, et semblait s’enfoncer par degrés entre deux remparts de rochers qui devenaient de plus en plus escarpés. À l’instant où la lune rougeâtre se leva au milieu d’un amas froid de nuages qui déroulaient autour d’elle leurs formes bizarres avec une mobilité fantastique, Kennybol s’inclina vers Guldon Stayper :

— Nous allons entrer dans le défilé du Pilier-Noir. Silence !

En effet, on entendait déjà le bruit du torrent qui suit entre les deux montagnes tous les détours du chemin, et l’on voyait au midi l’énorme pyramide oblongue de granit, qu’on a nommée le Pilier-Noir, se dessiner sur le gris du ciel et sur la neige des montagnes environnantes ; tandis que l’horizon de l’ouest, chargé de brouillards, était borné par l’extrémité de la forêt du Sparbo et par un long amphithéâtre de rochers, étagés comme un escalier de géants.

Les révoltés, contraints d’allonger leurs colonnes dans ces routes tortueuses étranglées entre deux montagnes, continuèrent leur marche. Ils pénétrèrent dans ces gorges profondes sans allumer de torches, sans pousser de clameurs. Le bruit même de leurs pas ne s’entendait point au milieu du fracas assourdissant des cascades et des rugissements d’un vent violent qui ployait les forêts druidiques et faisait tournoyer les nuées autour des pitons revêtus de glace et de neige. Perdue dans les sombres profondeurs du défilé, la lumière souvent voilée de la lune, ne descendait pas jusqu’aux fers de leurs piques, et les aigles blancs qui passaient par intervalles au-dessus de leurs têtes ne se doutaient pas qu’une aussi grande multitude d’hommes troublât en ce moment leurs solitudes.

Une fois le vieux Guldon Stayper toucha l’épaule de Kennybol de la crosse de sa carabine :

— Capitaine ! notre capitaine ! je vois quelque chose reluire derrière cette touffe de houx et de genêts.

— Je le vois également, répondit le chef montagnard ; c’est l’eau du torrent qui réfléchit les nuages.

Et l’on passa outre.

Une autre fois Guldon arrêta brusquement son chef par le bras :

— Regarde, lui dit-il, ne sont-ce pas des mousquetons qui brillent là-haut dans l’ombre de ce rocher ?

Kennybol secoua la tête, puis après un moment d’attention : — Rassure-