prononce l’effet que ferait sans doute leur huile d’ours et leur pain d’écorce sur les houppes nerveuses et sensitives de notre palais.
Il lui reste à remercier les huit ou dix personnes qui ont eu la bonté de lire son ouvrage en entier, comme le constate le succès vraiment prodigieux qu’il a obtenu ; il témoigne également toute sa gratitude à celles de ses jolies lectrices qui, lui assure-t-on, ont bien voulu se faire d’après son livre un certain idéal de l’auteur de Han d’Islande ; il est infiniment flatté qu’elles veuillent bien lui accorder des cheveux rouges, une barbe crépue et des yeux hagards ; il est confus qu’elles daignent lui faire l’honneur de croire qu’il ne coupe jamais ses ongles ; mais il les supplie à genoux d’être bien convaincues qu’il ne pousse pas encore la férocité jusqu’à dévorer les petits enfants vivants ; du reste, tous ces faits seront fixés lorsque sa renommée sera montée jusqu’au niveau de celles des auteurs de Lolotte et Fanfan ou de Monsieur Botte, hommes transcendants, jumeaux de génie et de goût, Arcades ambo ; et qu’on placera en tête de ses œuvres son portrait, terribiles visu formæ, et sa biographie, domestica facta.
Il allait clore cette trop longue note, lorsque son libraire, au moment
d’envoyer l’ouvrage aux journaux, est venu lui demander pour
eux quelques petits articles de complaisance sur son propre ouvrage,
ajoutant, pour dissiper tous les scrupules de l’auteur, que son écriture
ne serait pas compromise, et qu’il les recopierait lui-même. Ce dernier trait
lui a semblé touchant. Comme il paraît qu’en ce siècle tout lumineux
chacun se fait un devoir d’éclairer son prochain sur ses qualités
et perfections personnelles, chose dont nul n’est mieux instruit que
leur propriétaire ; comme, d’ailleurs, cette dernière tentation est assez
forte, l’auteur croit, dans le cas où il y succomberait, devoir prévenir
le public de ne jamais croire qu’à demi tout ce que les journaux
lui diront de son ouvrage.