Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/310

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dit qu’il ne pouvait croire à ce qu’il entendait de ses oreilles. Il adressa néanmoins la parole au fils du vice-roi :

— Si vous êtes en effet l’unique auteur de cette révolte, dans quel but l’avez-vous excitée ?

— Je ne puis le dire.

Un frisson saisit Éthel, lorsqu’elle entendit le président répliquer d’une voix presque irritée :

— N’aviez-vous point une intrigue avec la fille de Schumacker ?

Mais Ordener, enchaîné, avait fait un pas vers le tribunal, et s’était écrié, avec l’accent de l’indignation :

— Chancelier d’Ahlefeld, contentez-vous de ma vie que je vous livre ; respectez une noble et innocente fille. Ne tentez pas de la déshonorer une seconde fois.

La pauvre Éthel, qui avait senti son sang remonter à son visage, ne comprit pas ce que signifiaient ces mots, une seconde fois, sur lesquels son défenseur appuyait avec énergie ; mais à la colère qui se peignait sur les traits du président, on eût dit qu’il les comprenait.

— Ordener Guldenlew, n’oubliez pas vous-même le respect que vous devez à la justice du roi et à ses suprêmes officiers. Je vous réprimande au nom du tribunal. — À présent, je vous somme de nouveau de me déclarer dans quel but vous avez commis le crime dont vous vous accusez.

— Je vous répète que je ne puis vous le dire.

— N’était-ce pas, reprit le secrétaire, pour délivrer Schumacker ?

Ordener garda le silence.

— Ne soyez pas muet, accusé Ordener, dit le président ; il est prouvé que vous entreteniez des intelligences avec Schumacker, et l’aveu de votre culpabilité accuse, plus qu’il ne justifie, le prisonnier de Munckholm. Vous alliez souvent à Munckholm, et certes vous attachiez à ces visites plus qu’un intérêt de curiosité ordinaire. Témoin cette boucle de diamants.

Le président prit sur le bureau, et montra à Ordener une boucle de brillants qui y était déposée.

— La reconnaissez-vous pour vous avoir appartenu ?

— Oui. Par quel hasard ?…

— Eh bien ! un des rebelles l’a remise, avant d’expirer, à notre secrétaire intime, en déclarant qu’il l’avait reçue de vous en paiement, pour vous avoir transporté du port de Drontheim à la forteresse de Munckholm. Or, je vous le demande, seigneurs juges, un pareil salaire donné à un simple matelot n’annonce-t-il pas quelle importance l’accusé Ordener Guldenlew attachait à parvenir jusqu’à cette prison, qui est celle de Schumacker ?