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XLVII


Est-ce un homme ou un esprit infernal qui parle ainsi ? Quel est donc l’esprit malfaisant qui se tourmente ? Montre-moi l’ennemi implacable qui habite ton cœur.
Maturin



Han d’Islande et Schumacker sont dans la même salle du donjon de Slesvig. L’ex-chancelier absous se promène à pas lents, les yeux chargés de pleurs amers ; le brigand condamné rit de ses chaînes, environné de gardes.

Les deux prisonniers s’observent longtemps en silence ; on dirait qu’ils se sentent tous deux et se reconnaissent mutuellement ennemis des hommes.

— Qui es-tu ? demande enfin l’ex-chancelier au brigand.

— Je te dirai mon nom, reprit l’autre, pour te faire fuir. Je suis Han d’Islande.

Schumacker s’avance vers lui :

— Prends ma main ! dit-il.

— Est-ce que tu veux que je la dévore ?

— Han d’Islande, reprend Schumacker, je t’aime parce que tu hais les hommes.

— Voilà pourquoi je te hais.

— Écoute ; je hais les hommes, comme toi, parce que je leur ai fait du bien, et qu’ils m’ont fait du mal.

— Tu ne les hais pas comme moi ; je les hais, moi, parce qu’ils m’ont fait du bien, et que je leur ai rendu du mal.

Schumacker frémit du regard du monstre. Il a beau vaincre sa nature, son âme ne peut sympathiser avec celle-là.

— Oui, s’écrie-t-il, j’exècre les hommes, parce qu’ils sont fourbes, ingrats, cruels. Je leur ai dû tout le malheur de ma vie.

— Tant mieux ! — je leur ai dû, moi, tout le bonheur de la mienne.

— Quel bonheur ?

— Le bonheur de sentir des chairs palpitantes frémir sous ma dent, un sang fumant réchauffer mon gosier altéré ; la volupté de briser des êtres vivants contre des pointes de rochers, et d’entendre le cri de la victime se mêler au bruit des membres fracassés. Voilà les plaisirs que m’ont procurés les hommes.

Schumacker recula avec épouvante devant le monstre dont il s’était