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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/345

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— Eh bien ! je ressemblerai aux vivants, qui sont sans cesse rongés par les petits et dévorés par les grands.

— Deux ducats d’or ! répétait le bourreau entre ses dents ; quelle prétention exorbitante ! Si tu ne modères ton prix, mon cher Han d’Islande, nous ne pourrons traiter ensemble.

— C’est la première et probablement la dernière vente que je ferai de ma vie ; je tiens à faire un marché avantageux.

— Songe que je puis te faire repentir de ton opiniâtreté. Demain tu seras en ma puissance.

— Crois-tu ?

Ces mots étaient prononcés avec une expression qui échappa au bourreau.

— Oui, et il y a une manière de serrer le nœud coulant… tandis que, si tu deviens raisonnable, je te pendrai mieux.

— Peu m’importe ce que tu feras demain de mon cou ! répondit le monstre d’un air railleur.

— Allons, ne pourrais-tu te contenter de deux écus royaux ? Qu’en feras-tu ?

— Adresse-toi à ton camarade, dit le brigand en montrant le guichetier ; il me demande deux ducats d’or pour un peu de paille et de feu.

— Aussi, dit le bourreau, apostrophant le guichetier avec humeur, par la scie de saint Joseph ! il est révoltant de faire payer du feu et de la méchante paille au poids de l’or. Deux ducats !

Le guichetier répliqua aigrement :

— Je suis bien bon de n’en pas exiger quatre ! — C’est vous, maître Nychol, qui êtes aussi arabe que le chiffre 2, de refuser à ce pauvre prisonnier deux ducats d’or de son cadavre, que vous pourrez vendre au moins vingt ducats à quelque savant ou à quelque médecin.

— Je n’ai jamais payé un cadavre plus de quinze ascalins, dit le bourreau.

— Oui, repartit le guichetier, le cadavre d’un mauvais voleur ou d’un misérable juif, cela peut être ; mais chacun sait que vous tirerez ce que vous voudrez du corps de Han d’Islande.

Han d’Islande hocha la tête.

— De quoi vous mêlez-vous ? dit Orugix brusquement, est-ce que je m’occupe, moi, de vos rapines, des vêtements, des bijoux que vous volez aux prisonniers, de l’eau sale que vous versez dans leur maigre bouillon, des tourments que vous leur faites éprouver pour tirer d’eux de l’argent ? — Non ! je ne donnerai point deux ducats d’or.

— Point de paille et point de feu, à moins de deux ducats d’or, répondit l’obstiné guichetier.