Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/359

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— Lequel, seigneur ? demanda Ordener presque inquiet.

— Vous aimez ma fille ; mais êtes-vous sûr qu’elle vous aime ?

Les deux amants se regardèrent, muets de surprise.

— Oui, poursuivit le père. J’en suis fâché ; car je vous aime, moi, et j’aurais voulu vous appeler mon fils. C’est ma fille qui ne voudra pas. Elle m’a déclaré dernièrement son aversion pour vous. Depuis votre départ, elle se tait quand je lui parle de vous, et semble éviter votre pensée, comme si elle la gênait. Renoncez donc à votre amour, Ordener. Allez, on se guérit d’aimer comme de haïr.

— Seigneur… dit Ordener stupéfait.

— Mon père !… dit Éthel joignant les mains.

— Ma fille, sois tranquille, interrompit le vieillard ; ce mariage me plaît, mais il te déplaît. Je ne veux pas torturer ton cœur, Éthel. Depuis quinze jours je suis bien changé, va. Je ne forcerai pas ta répugnance pour Ordener. Tu es libre.

Athanase Munder souriait.

— Elle ne l’est pas, dit-il.

— Vous vous trompez, mon noble père, ajouta Éthel enhardie. Je ne hais pas Ordener.

— Comment ! s’écria le père.

— Je suis… reprit Éthel. Elle s’arrêta.

Ordener s’agenouilla devant le vieillard.

— Elle est ma femme, mon père ! Pardonnez-moi comme mon autre père m’a déjà pardonné, et bénissez vos enfants.

Schumacker, étonné à son tour, bénit le jeune couple incliné devant lui.

— J’ai tant maudit dans ma vie, dit-il, que je saisis maintenant sans examen toutes les occasions de bénir. Mais à présent expliquez-moi…

On lui expliqua tout. Il pleurait d’attendrissement, de reconnaissance et d’amour.

— Je me croyais sage, je suis vieux, et je n’ai pas compris le cœur d’une jeune fille !

— Je m’appelle donc Ordener Guldenlew ! disait Éthel avec une joie enfantine.

— Ordener Guldenlew, reprit le vieux Schumacker, vous valez mieux que moi ; car, dans ma prospérité, je ne serais certes pas descendu de mon rang pour m’unir à la fille pauvre et dégradée d’un malheureux proscrit.

Le général prit la main du prisonnier et lui remit un rouleau de parchemins :

— Seigneur comte, ne parlez pas ainsi. Voici vos titres que le roi vous avait déjà renvoyés par Dispolsen. Sa majesté vient d’y joindre le don de