Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/368

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joies… Et pourquoi faut-il qu’un pareil talent se soit cru obligé de recourir à de pareils artifices ? Il lui était si aisé de s’en passer !

La connaissance particulière des lieux ou des études très bien faites ont donné jusqu’à un certain point à l’auteur de Han d’Islande cette piquante vérité de couleur locale qui distingue l’auteur de Waverley ; je dis : jusqu’à un certain point, parce que, plus familier que lui peut-être avec le ciel des solitudes qu’il a décrites, j’ai désiré dans ses peintures quelques-uns des effets qu’il lui était si facile de tirer de la mesure inaccoutumée des jours et de la bizarrerie des saisons polaires. On reconnaît d’ailleurs, dans Han d’Islande, une bonne lecture de l’Edda et de l’histoire, beaucoup d’érudition, beaucoup d’esprit, même celui qui naît du bonheur et qu’on appelle la gaîté, même celui de l’expérience et que l’auteur n’a pas eu le temps de devoir à l’habitude du monde et à l’observation. On y trouve enfin un style vif, pittoresque, plein de nerfs, et, ce qu’il y a de plus étonnant, cette délicatesse de tact et cette finesse de sentiment qui sont aussi des acquisitions de la vie, et qui contrastent ici de la manière la plus surprenante avec les jeux barbares d’une imagination malade. Cependant, ce ne sont pas toutes ces qualités qui feront la vogue de Han d’Islande et qui forceront l’inflexible et savant Minos de la librairie à reconnaître le début authentique et légitime de douze mille exemplaires de ce roman que tout le monde voudra lire, ce seront ses défauts.

Je n’ai pas parlé d’une préface où l’auteur a imité avec adresse la manière aigre-douce de sir Walter Scott en parlant de ses confrères. Il sentira que l’écrivain qui a cherché à exciter de pareilles émotions, et qui probablement n’y est pas parvenu sans peine, n’était pas libre de s’en jouer. Ce qui n’est pas bien dans sir Walter à l’arrière-saison de la vie est d’ailleurs moins convenable encore dans un très jeune homme, auquel un mérite non contesté a donné de bonne heure de justes privilèges. Le premier devoir qu’impose le talent, c’est de ne pas abuser de ses droits.

Au moment de la réimpression de Han d’Islande, compris dans la première édition collective commencée par Renduel, Fontaney, embrassant dans une étude l’œuvre de Victor Hugo, consacre ces quelques lignes à Han d’Islande :

La Revue des Deux-Mondes.
A. Fontaney.

Han d’Islande ! Le titre dit tout ! Ce doit être quelque chose d’absurde, de ridicule, de monstrueux, d’immoral ! Han d’Islande, cela ne se lit point. Aussi ont-ils (ces messieurs de l’Académie) condamné l’ouvrage par contumace ! Cependant nous qui, moins scrupuleux, au sortir du collège, avons lu ce roman de jeune homme, jeunes hommes nous-mêmes, nous l’avons réhabilité bien vite. Il a frémi sur toutes nos lèvres ce chaste baiser qu’Ordener prend sur les lèvres d’Éthel dans le noir couloir de la tour. Ce baiser, nul de nous depuis ne l’a oublié. C’est qu’il était pour nous comme une ablution. Il semblait que ce pur et nouvel amour avec lequel sympathisaient nos âmes les lavât des souillures qu’y avait laissées le Faublas et tout ce qu’en cachette, au lycée, dans notre ardente et inquiète curiosité, nous avions pu parcourir de sales et honteux ouvrages. Quelle verve d’imagination, d’ailleurs, dans ce livre ! Que de fantaisie et de vigueur ! Il y avait là telle page sur les exécutions publiques où l’on pouvait découvrir en germe tout le Dernier Jour d’un Condamné.