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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/51

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Ordener devint sombre et embarrassé.

— Dispolsen, seigneur comte ? C’est pour vous en parler que je suis venu dès aujourd’hui. — Je sais qu’il avait toute votre confiance.

— Vous le savez ? interrompit le prisonnier avec inquiétude. Vous vous trompez. Nul être au monde n’a ma confiance. — Dispolsen tient, il est vrai, entre ses mains mes papiers, des papiers même très importants. C’est pour moi qu’il est allé à Copenhague, près du roi. J’avouerai même que je comptais plus sur lui que sur tout autre, car dans ma puissance je ne lui avais jamais rendu service.

— Eh bien ! noble comte, je l’ai vu aujourd’hui…

— Votre trouble me dit le reste ; il est traître.

— Il est mort.

— Mort !

Le prisonnier croisa ses bras et baissa la tête, puis relevant son œil vers le jeune homme :

— Quand je vous disais qu’il lui était arrivé quelque chose d’heureux !

Puis son regard se tourna vers la muraille où étaient suspendus les signes de ses grandeurs détruites, et il fit un geste de la main comme pour éloigner le témoin d’une douleur qu’il s’efforçait de vaincre.

— Ce n’est pas lui que je plains ; ce n’est qu’un homme de moins. — Ce n’est pas moi ; qu’ai-je à perdre ? Mais ma fille, ma fille infortunée ! je serai la victime de cette infâme machination ; et que deviendra-t-elle si on lui enlève son père ?

Il se retourna vivement vers Ordener.

— Comment est-il mort ? où l’avez-vous vu ?

— Je l’ai vu au Spladgest ; on ne sait s’il est mort d’un suicide ou d’un assassinat.

— Voici maintenant l’important. S’il a été assassiné, je sais d’où le coup part ; alors tout est perdu. Il m’apportait les preuves du complot qu’ils trament contre moi ; ces preuves auraient pu me sauver et les perdre. Ils ont su les détruire ! — Malheureuse Éthel !

— Seigneur comte, dit Ordener en saluant, je vous dirai demain s’il a été assassiné.

Schumacker, sans répondre, suivit Ordener, qui sortait, d’un regard où se peignait le calme du désespoir, plus effrayant que le calme de la mort.

Ordener était dans l’antichambre solitaire du prisonnier, sans savoir de quel côté se diriger. La soirée était avancée et la salle obscure ; il ouvrit une porte au hasard et se trouva dans un immense corridor, éclairé seulement par la lune, qui courait rapidement à travers de pâles nuées. Ses lueurs