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LE DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ


XXI

De la Conciergerie.

Me voici transféré, comme dit le procès-verbal.

Mais le voyage vaut la peine d’être conté.

Sept heures et demie sonnaient lorsque l’huissier s’est présenté de nouveau au seuil de mon cachot. — Monsieur, m’a-t-il dit, je vous attends. — Hélas ! lui et d’autres !

Je me suis levé, j’ai fait un pas ; il m’a semblé que je n’en pourrais faire un second, tant ma tête était lourde et mes jambes faibles. Cependant je me suis remis et j’ai continué d’une allure assez ferme. Avant de sortir du cabanon, j’y ai promené un dernier coup d’œil. — Je l’aimais, mon cachot. — Puis, je l’ai laissé vide et ouvert ; ce qui donne à un cachot un air singulier.

Au reste, il ne le sera pas longtemps. Ce soir on y attend quelqu’un, disaient les porte-clefs, un condamné que la cour d’assises est en train de faire à l’heure qu’il est.

Au détour du corridor, l’aumônier nous a rejoints. Il venait de déjeuner.

Au sortir de la geôle, le directeur m’a pris affectueusement la main, et a renforcé mon escorte de quatre vétérans.

Devant la porte de l’infirmerie, un vieillard moribond m’a crié : Au revoir !

Nous sommes arrivés dans la cour. J’ai respiré ; cela m’a fait du bien.

Nous n’avons pas marché longtemps à l’air. Une voiture attelée de chevaux de poste stationnait dans la première cour ; c’est la même voiture qui m’avait amené ; une espèce de cabriolet oblong, divisé en deux sections par une grille transversale de fil de fer si épaisse qu’on la dirait tricotée. Les deux sections ont chacune une porte, l’une devant, l’autre derrière la carriole. Le tout si sale, si noir, si poudreux, que le corbillard des pauvres est un carrosse du sacre en comparaison.

Avant de m’ensevelir dans cette tombe à deux roues, j’ai jeté un regard dans la cour, un de ces regards désespérés devant lesquels il semble que les murs devraient crouler. La cour, espèce de petite place plantée d’arbres, était plus encombrée encore de spectateurs que pour les galériens. Déjà la foule !

Comme le jour du départ de la chaîne, il tombait une pluie de la saison, une pluie fine et glacée qui tombe encore à l’heure où j’écris, qui tombera sans doute toute la journée, qui durera plus que moi.