Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

crime et plus de remords. Fais comme moi, choisis le second parti, c’est le meilleur, le plus gai du moins.

— Puissiez-vous, dit la comtesse à voix basse, ne pas retrouver ces paroles dans l’éternité !

— Allons, ma chère, quittons la plaisanterie ; ou, si tu crois à l’éternité, pense aussi que ton brevet d’enfer t’est bien irrévocablement acquis. Que servent donc quelques années de repentir sur la terre ? l’éternité ne s’abrège pas.

Alors Musdœmon s’asseyant près de la comtesse, et passant ses bras autour de son cou :

— Elphège, dit-il, tâche de rester, par l’esprit du moins, ce que tu étais il y a vingt ans.

L’infortunée comtesse, esclave de son complice, tâcha de répondre à sa repoussante caresse. Il y avait dans cet embrassement adultère de deux êtres qui se méprisaient et s’exécraient mutuellement quelque chose de trop révoltant, même pour ces âmes dégradées. Les caresses illégitimes qui avaient fait leur joie, et que je ne sais quelle horrible convenance les forçait de se prodiguer encore, faisaient maintenant leur torture. Étrange et juste changement des affections coupables ! leur crime était devenu leur supplice.

La comtesse, pour abréger ce tourment adultère, demanda enfin à son odieux amant, en s’arrachant de ses bras, de quel message verbal son époux l’avait chargé.

— D’Ahlefeld, dit Musdœmon, au moment de voir son pouvoir s’affermir par le mariage d’Ordener Guldenlew avec notre fille…

— Notre fille ! s’écria la hautaine comtesse, et son regard fixé sur Musdœmon reprit une expression d’orgueil et de dédain.

— Eh bien, dit froidement le messager, je crois qu’Ulrique peut m’appartenir au moins autant qu’à lui. Je disais donc que ce mariage ne satisfaisait pas entièrement ton mari, si Schumacker n’était en même temps tout à fait renversé. Du fond de sa prison, ce vieux favori est encore presque aussi redoutable que dans son palais. Il a à la cour des amis obscurs, mais puissants, peut-être parce qu’ils sont obscurs ; et le roi, apprenant il y a un mois que les négociations du grand-chancelier avec le duc de Holstein-Plœn ne marchaient pas, s’est écrié avec impatience : — Griffenfeld à lui seul en savait plus qu’eux tous. — Un intrigant nommé Dispolsen, venu de Munckholm à Copenhague, a obtenu de lui plusieurs audiences secrètes, après lesquelles le roi a fait demander à la chancellerie, où ils sont déposés, les titres de noblesse et de propriété de Schumacker. On ignore à quoi Schumacker aspire ; mais ne désirerait-il que la liberté, pour un prisonnier d’état c’est désirer le pouvoir. — Il faut donc qu’il meure, et qu’il