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NOTES DE L’ÉDITEUR.


I

HISTORIQUE DU DERNIER JOUR D’UN CONDAMNÉ


À la fin de l’année 1828, Victor Hugo écrivit le Dernier Jour d’un Condamné.

Mme Victor Hugo a raconté d’une façon très précise les origines de ce petit livre :

M. Victor Hugo s’était trouvé, en 1820, sur le passage de Louvel allant à l’échafaud. L’assassin du duc de Berry n’avait rien qui éveillât la sympathie ; il était gros et trapu, avait un nez cartilagineux sur des lèvres minces et des yeux d’un bleu vitreux. L’auteur de l’ode sur la Mort du duc de Berry le haïssait de tout son ultra-royalisme d’enfant. Et cependant, à voir cet homme qui était vivant et bien portant et qu’on allait tuer, il n’avait pu s’empêcher de le plaindre, et il avait senti sa haine pour l’assassin se changer en pitié pour le patient. Il avait réfléchi, avait pour la première fois regardé la peine de mort en face, s’était étonné que la société fît au coupable, et de sang-froid et sans danger, précisément la même chose dont elle le punissait, et avait eu l’idée d’écrire un livre contre la guillotine.

Ce récit est scrupuleusement exact. Victor Hugo racontait volontiers que sa haine contre la peine de mort datait de l’époque où il n’avait pas vingt ans, et il fallait que cette haine fût bien enracinée dans son jeune cerveau pour qu’elle se manifestât à une heure où son royalisme lui eût conseillé de ne pas la combattre. Il attendit cependant plusieurs années avant d’écrire ce livre.

Mme Victor Hugo poursuit :

À la fin de l’été de 1825, une après-midi, comme il allait à la bibliothèque du Louvre, il rencontra M. Jules Lefèvre, qui lui prit le bras et l’entraîna sur le quai de la Ferraille. La foule affluait des rues, se dirigeant vers la place de Grève.

— Qu’est-ce donc qui se passe ? demanda-t-il.

— Il se passe qu’on va couper le poing et la tête à un nommé Jean Martin, qui a tué son père. Je suis en train de faire un poème où il y a un parricide qu’on exécute ; je viens voir exécuter celui-là, mais j’aime autant n’y pas être tout seul.

L’horreur qu’éprouva Victor Hugo à la pensée de voir une exécution était une raison de plus de s’y contraindre ; l’affreux spectacle l’exciterait à sa guerre projetée contre la peine de mort.

Au pont au Change, la foule était si épaisse qu’il devint difficile d’avancer. MM. Victor Hugo et Jules Lefèvre purent cependant gagner la place. Les maisons regorgeaient de monde. Les locataires avaient invité leurs amis à la fête ; on voyait des tables couvertes de fruits et de vins ; des fenêtres avaient été louées fort cher ; de jeunes femmes venaient s’accouder à l’appui des croisées, verre en main et riant aux éclats, ou minaudant avec des jeunes gens. Mais bientôt la coquetterie cessa pour un plaisir plus vif : la charrette arrivait.

Le patient, le dos tourné au cheval, au bourreau et aux aides, la tête couverte d’un chiffon noir rattaché au cou, ayant pour tout vêtement un pantalon de toile grise et une chemise blanche, grelottait sous une pluie croissante. L’aumônier des prisons, l’abbé Montès, lui parlait et lui faisait baiser un crucifix à travers son voile.

M. Victor Hugo voyait la guillotine de profil ; ce n’était pour lui qu’un poteau