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PRÉFACE PHILOSOPHIQUE.

fuite, ayant l’écume pour neige, une inépuisable colère des nuées contre les vagues et des vagues contre les rochers, une poussée horrible de l’ombre contre l’ombre, un cloaque de baves, un râle sans fin ; Autans, Föhns, Borées, Aquilons, bourrasques, grains, rafales, tourmentes, raz de marées, coups d’équinoxes, barres, mascarets, ressacs, flux et reflux ; l’agitation à jamais, le bouleversement indéfini ; un dragon est noué autour du globe, et souffle et hurle ; le tumulte s’est fait monstre ; voilà la mer.

L’hymne homérique l’appelle le Fracas ; Erispharagos. Ici la météorologie perd pied et s’évanouit ; impossible d’extraire une loi de ce tourbillon de forces en fusion. Le vent, ce sanglot des étendues, cette haleine des espaces, cette respiration de l’abîme, est-ce une force maniable à l’homme ? Les voiles qui entrent au port disent oui ; les navires qui se brisent à l’écueil répondent non. La seule marine anglaise subit une moyenne de dix-huit cent vingt-quatre naufrages par an.

Comment asseoir un calcul quelconque sur cette instabilité implacable ? Mesurez-le donc, ce vent ! il déconcerte tous vos anémomètres à indications continues. Vous constaterez, par exemple, qu’en février 1839, la force du vent s’est élevée, mesure anglaise, à vingt-sept livres par pied carré, et qu’en février 1860, lors de la perte du Royal-Charter sur les côtes d’Irlande, elle a atteint trente livres. Vous constaterez qu’à trente livres de pression le vent renverse des murailles et arrache des toits, et qu’il fait cinquante-cinq lieues à l’heure. Cela établi, cette note écrite en marge de la science, vous vous arrêterez. Vos notions de la tempête ne peuvent aller plus loin.

On peut à la rigueur se faire du vent une idée générale et en concevoir une gigantesque image dans la chambre obscure de l’esprit ; la sphère est plus lourde que l’atmosphère, et par conséquent se meut plus vite ; c’est là la première origine du vent ; le vent a deux causes : déplacement et dilatation ; le mouvement de la terre crée le déplacement, la chaleur du soleil crée la dilatation ; la rotation terrestre produit un immense vent alizé d’orient en occident ; l’irradiation solaire détermine quatre courants des pôles à l’équateur, deux en bas, deux en haut, lesquels forment, dans l’hémisphère austral et dans l’hémisphère boréal, des énormes anneaux de vent roulant en sens inverse et jour et nuit, comme la chaîne sans fin, des tropiques aux pôles. À ces vastes mouvements simples, on entrevoit deux causes de perturbation : les courants magnétiques, et le flux et le reflux lunaire plus puissant encore sur l’océan fluide que sur l’océan liquide, car l’air a sa marée comme l’eau.

De même qu’on se figure le muscle extenseur et le muscle adducteur, on peut se figurer ce prodigieux soufflet de Cyclopes : la brise de terre, vent d’aspiration, la brise de mer, vent de répulsion.