qu’aucune police ne peut empêcher, ils l’envoient à Saint-Lazare. Saint-Lazare est la prison des femmes, et, là où il y a des femmes, il y a de la pitié. Le bouquet circule de main en main parmi les malheureuses que la police détient administrativement à Saint-Lazare ; et, au bout de quelques jours, l’infaillible poste aux lettres secrètes fait savoir à ceux qui l’ont envoyé que Palmyre a choisi la tubéreuse, que Fanny a préféré l’azalée, et que Séraphine a adopté le géranium. Jamais ce lugubre mouchoir n’est jeté à ce sérail sans être ramassé.
À dater de ce jour, ces trois bandits ont trois servantes qui sont Palmyre, Fanny et Séraphine. Les détentions administratives sont relativement courtes. Ces femmes sortent de prison avant ces hommes. Et que font-elles ? elles les nourrissent. En style noble : providences ; en style énergique : vaches à lait.
La pitié s’est faite amour. Le cœur féminin a de ces greffes sombres. Ces femmes disent : Je suis mariée. Elles sont mariées en effet. Par qui ? par la fleur. Avec qui ? avec l’abîme. Elles sont les fiancées de l’inconnu. Fiancées enivrées et enthousiastes. Pâles Sunamites du songe et du brouillard. Quand le connu est si odieux, comment ne pas aimer l’inconnu ?
Dans ces régions nocturnes, et avec les vents de dispersion qui y soufflent, les rencontres sont presque impossibles. On se rêve. Jamais probablement cette femme ne verra cet homme. Est-il jeune ? est-il vieux ? est-il beau ? est-il laid ? Elle n’en sait rien. Elle l’ignore. Elle l’adore. Et c’est parce qu’elle ne le connaît pas qu’elle l’aime. L’idolâtrie naît du mystère.
Cette femme flottante veut un lien. Cette éperdue a besoin d’un devoir. Le gouffre, parmi son écume, lui en jette un ; elle l’accepte. Elle s’y dévoue. Ce mystérieux bandit changé en héliotrope ou en iris devient pour elle une religion. Elle l’épouse devant la nuit. Elle a pour lui mille petits soins de femme ; pauvre pour elle-même, elle est riche pour lui ; elle comble ce fumier de délicatesses. Elle lui est fidèle de toute la fidélité qu’elle peut encore avoir. La corruption dégage l’incorruptible. Jamais cette femme ne manque à cet amour. Amour immatériel, pur, éthéré, subtil comme l’haleine du printemps, solide comme l’airain.
Une fleur a fait tout cela. Quel puits que le cœur humain, et quel vertige que d’y regarder ! Voici le cloaque. À quoi songe-t-il ? au parfum. Une prostituée aime un voleur à travers un lys. Quel plongeur de la pensée humaine arrivera au fond de ceci ? qui approfondira cet immense besoin de fleurs qui naît de la boue ? Ces malheureuses ont au fond d’elles-mêmes d’étranges équilibres qui les consolent et qui les rassurent. Une rose fait contrepoids à une honte.
De là ces amours, tout saturés de chimère. Ce voleur est idolâtré par cette fille. Elle n’a pas vu son visage, elle ne sait pas son nom ; elle le rêve dans la senteur d’un jasmin ou d’un œillet. Les jardins, le soleil de mai, les oiseaux dans les nids, les blancheurs exquises, les floraisons radieuses, les caisses de daphnés et d’orangers, les pétales de velours où se pose le bourdon doré, les odeurs sacrées du renouveau, les baumes, les encens, les sources, les gazons, se mêlent désormais à ce bandit. Le divin sourire de la nature le pénètre et l’illumine.
Cette aspiration désespérée au paradis perdu, ce rêve difforme du beau, n’est pas moins tenace chez l’homme. Il se tourne, lui, vers la femme ; et cette préoccupation,