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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

quait, par de trop longs développements, de ralentir l’action, et il se borna, pour terminer ce livre, à quelques lignes résumant sa pensée :


De la lumière. De la lumière à flots.

Éclairez la société en dessous.



III


Outre les méfaits, les vols, les partages après guet-apens, et l’exploitation crépusculaire des barrières de Paris, Babet, Claquesous et Gueulemer possédaient encore une autre industrie. Ils avaient des amantes idéales.

Cela veut être expliqué.

Ce livre est fait pour tout dire. Roman, soit ; mais histoire aussi. Au point de vue de l’histoire humaine, il serait incomplet s’il ne montrait point tout de front, et si de certains aspects de la vie profonde et funèbre y manquaient.

La traite des nègres nous émeut à bon droit, nous examinons cette plaie, et nous faisons bien. Mais sachons mettre à nu aussi un autre ulcère, plus douloureux encore peut-être : la traite des blanches.

Voici un des faits singuliers qui se rattachent à ce poignant désordre de notre civilisation, et qui le caractérisent.

Toute prison a un prisonnier qu’on appelle le dessinateur.

Il éclôt des métiers sous les verrous. Ces métiers, propres à l’intérieur des prisons, sont le marchand de coco, le marchand de foulards, l’écrivain, l’avocat, le carcaniau ou usurier, le cabanier, et l’aboyeur. Le dessinateur prend rang, parmi ces professions locales et spéciales, entre l’écrivain et l’avocat.

Pour être dessinateur, est-il besoin de savoir le dessin ? Nullement. Un bout de banc pour s’asseoir, un coin de mur pour s’adosser, un crayon de mine de plomb, un carton lié avec de la tresse, une petite hampe avec une aiguille pour pointe, un peu d’encre de Chine ou de sépia, un peu de bleu de Prusse et un peu de vermillon dans trois vieilles cuillers de hêtre fêlées, voilà le nécessaire ; savoir dessiner est le superflu. Les voleurs aiment les enluminures comme les enfants et le tatouage comme les sauvages. Le dessinateur, au moyen de ses trois cuillers, satisfait au premier de ces besoins, et, au moyen de son aiguille, au second.

On le paye avec une « gobette » de vin.

Or il arrive ceci :

Tels ou tels prisonniers manquent de tout, ou simplement veulent vivre plus à l’aise. Ils font groupe, viennent trouver le dessinateur, lui offrent leur quart ou leur gamelle, lui apportent une feuille de papier, et lui commandent un bouquet. Il doit y avoir dans le bouquet autant de fleurs qu’il y a de prisonniers dans le groupe. S’ils sont trois, il y a trois fleurs. Chaque fleur est accostée d’un numéro, ou, si on l’aime mieux, ornée d’un chiffre, qui est le chiffre d’écrou du prisonnier.

Le bouquet fait, grâce à ces insaisissables correspondances de prison à prison