Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/142

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— Et il ne veut pas, poursuivit Robespierre, qu’un autre que lui batte Lantenac. Le malheur de la guerre de Vendée est dans ces rivalités-là. Des héros mal commandés, voilà nos soldats. Un simple capitaine de hussards, Chambon, entre dans Saumur avec un trompette en sonnant Ça ira ; il prend Saumur ; il pourrait continuer et prendre Cholet, mais il n’a pas d’ordres, et il s’arrête. Il faut remanier tous les commandements de la Vendée. On éparpille les corps de garde, on disperse les forces ; une armée éparse est une armée paralysée ; c’est un bloc dont on fait de la poussière. Au camp de Paramé il n’y a plus que des tentes. Il y a entre Tréguier et Dinan cent petits postes inutiles avec lesquels on pourrait faire une division et couvrir tout le littoral. Léchelle, appuyé par Parrein, dégarnit la côte nord sous prétexte de protéger la côte sud, et ouvre ainsi la France aux anglais. Un demi-million de paysans soulevés, et une descente de l’Angleterre en France, tel est le plan de Lantenac. Le jeune commandant de la colonne expéditionnaire met l’épée aux reins à ce Lantenac et le presse et le bat, sans la permission de Léchelle ; or Léchelle est son chef ; aussi Léchelle le dénonce. Les avis sont partagés sur ce jeune homme. Léchelle veut le faire fusiller. Prieur de la Marne veut le faire adjudant-général.

— Ce jeune homme, dit Cimourdain, me semble avoir de grandes qualités.

— Mais il a un défaut !

L’interruption était de Marat.

— Lequel ? demanda Cimourdain.

— La clémence, dit Marat.

Et Marat poursuivit :

— C’est ferme au combat, et mou après. Ça donne dans l’indulgence, ça pardonne, ça fait grâce, ça protège les religieuses et les nonnes, ça sauve les femmes et les filles des aristocrates, ça relâche les prisonniers, ça met en liberté les prêtres.

— Grave faute, murmura Cimourdain.

— Crime, dit Marat.

— Quelquefois, dit Danton.

— Souvent, dit Robespierre.

— Presque toujours, reprit Marat.

— Quand on a affaire aux ennemis de la patrie, toujours, dit Cimourdain.

Marat se tourna vers Cimourdain.

— Et que ferais-tu donc d’un chef républicain qui mettrait en liberté un chef royaliste ?

— Je serais de l’avis de Léchelle, je le ferais fusiller.