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Ces trois termes, peuple, nation, populace, représentent le triple organisme de la révolution. Cité, Patrie, Place publique, et expliquent cet effrayant engrenage du droit dans la violence et de la fureur dans la justice qui a été la Terreur.

La Terreur a été fatale dans tous les sens du mot, c’est-à-dire nécessaire et funeste. Nécessaire, car elle est une addition ; funeste, car sans la Terreur les États-Unis d’Europe seraient aujourd’hui fondés, et c’est la Terreur qui a refoulé et fait rentrer dans les poitrines l’aspiration des peuples vers la grande république humaine. À qui l’échafaud a-t-il rendu service ? Au trône. Il y a fraternité entre ces deux tréteaux adossés l’un à l’autre depuis quatre mille ans ; et même quand ils se combattent, ils s’entr’aident.

Sans la Terreur aucun prétexte aux polémiques ; la Terreur a été l’argument intarissable, et c’est sur elle que s’est appuyée l’immense calomnie royaliste. Ôtez la Terreur, pas de dix-huit brumaire possible, pas de restauration présentable, Bonaparte fût resté Bonaparte, les Bourbons fussent restés des fantômes et n’eussent pas été des revenants. La Terreur a effrayé les faibles, cette vaste force confuse, heurté ce qu’il y a de tendre dans la conscience, bouleversé tout l’horizon, et rendu la monarchie acceptable. La Terreur a défiguré l’avenir par une interposition affreusement transparente de supplices et d’échafauds. Maintenant, la Terreur pouvait-elle être évitée ? Question profonde. Dans quelle proportion la Terreur se rattache-t-elle aux lois dynamiques ?

La Terreur a été le recul redoutable de la révolution lançant son projectile ; toute machine de guerre offre ce contresens ; l’affut va en arrière pendant que le boulet va en avant. Recul dans la tyrannie connexe à l’éruption dans la liberté ; l’un soldant l’autre. Tel est le phénomène.

Le correcteur d’épreuves de la Révolution, c’est Robespierre ; il revoyait tout, il rectifiait tout ; il semble que, même lui disparu, la lueur sinistre de sa prunelle soit restée sur ce formidable exemplaire de progrès. Robespierre soignait son style comme son costume ; il ne risquait une phrase qu’en grande toilette. Il haïssait le sublime ; il trouvait Mirabeau excessif, Danton énorme. Énorme, dans cette bouche serrée et mince, était une critique. Il avait le goût d’un certain beau médiocre. Racine était son poëte, David était son peintre. S’il eût connu Bonaparte, il lui eût préféré Moreau. Il reprochait à Buonarotti son aïeul Michel-Ange.

Il était vertueux comme il était propre. Il ne pouvait souffrir sur lui ni un grain de poussière ni un vice. Sa probité faisait partie de sa correction. Il ne fut pas la raison de la révolution, il en fut la logique ; il en fut plus que la logique, il en fut l’algèbre. Il eut l’immense force de la ligne droite ; il en eut aussi l’impuissance. Le défaut de sa politique fut celui de sa littérature, l’abstraction. Avec cela sagace, trouvant le joint, voyant juste. Pas un homme ne fut plus bourgeois, pas un homme ne fut plus populaire.

Robespierre fut terne, pâle, froid, prodigieux. Robespierre avait été un enfant rieur ; adolescent, il aimait les oiseaux, apprenait par cœur Gresset, rimait des bergerades comme Saint-Just. Fadaises préludant aux rugissements.