Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/74

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neuf du bâtiment vieux et qu’on n’enfoncerait pas avec du canon. C’est dans le bâtiment neuf qu’est le fameux livre sur saint Barthélemy qu’on venait voir par curiosité. Il y a des grenouilles dans l’herbe. J’ai joué tout petit avec ces grenouilles-là. Et la passe souterraine ! je la connais. Il n’y a peut-être plus que moi qui la connaisse.

— Quelle passe souterraine ? Je ne sais pas ce que tu veux dire.

— C’était pour autrefois, dans les temps, quand la Tourgue était assiégée. Les gens du dedans pouvaient se sauver dehors en passant par un passage sous terre qui va aboutir à la forêt.

— En effet, il y a un passage souterrain de ce genre au château de la Jupellière, et au château de la Hunaudaye, et à la tour de Campéon ; mais il n’y a rien de pareil à la Tourgue.

— Si fait, monseigneur. Je ne connais pas ces passages-là dont monseigneur parle. Je ne connais que celui de la Tourgue, parce que je suis du pays. Et encore, il n’y a guère que moi qui sache cette passe-là. On n’en parlait pas. C’était défendu, parce que ce passage avait servi du temps des guerres de M. de Rohan. Mon père savait le secret et il me l’a montré. Je connais le secret pour entrer et le secret pour sortir. Si je suis dans la forêt, je puis aller dans la tour, et si je suis dans la tour, je puis aller dans la forêt. Sans qu’on me voie. Et quand les ennemis entrent, il n’y a plus personne. Voilà ce que c’est que la Tourgue. Ah ! je la connais.

Le vieillard demeura un moment silencieux.

— Tu te trompes évidemment ; s’il y avait un tel secret, je le saurais.

— Monseigneur, j’en suis sûr. Il y a une pierre qui tourne.

— Ah bon ! Vous autres paysans, vous croyez aux pierres qui tournent, aux pierres qui chantent, aux pierres qui vont boire la nuit au ruisseau d’à côté. Tas de contes.

— Mais puisque je l’ai fait tourner, la pierre…

— Comme d’autres l’ont entendue chanter. Camarade, la Tourgue est une bastille sûre et forte, facile à défendre ; mais celui qui compterait sur une issue souterraine pour s’en tirer serait naïf.

— Mais, monseigneur…

Le vieillard haussa les épaules.

— Ne perdons pas de temps, parlons de nos affaires.

Ce ton péremptoire coupa court à l’insistance de Halmalo.

Le vieillard reprit :

— Poursuivons. Écoute. De Rougefeu, tu iras au bois de Montchevrier, où est Bénédicité, qui est le chef des Douze. C’est encore un bon. Il dit son Benedicite pendant qu’il fait arquebuser les gens. En guerre, pas de sensiblerie. De Montchevrier, tu iras…