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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

rajeunie, admettant la souveraineté du peuple, et s’il ne voit dans les formes de gouvernement que « des machines politiques », la démocratie lui apparaît comme le fait éternel parce qu’elle admet toutes les constitutions, pourvu qu’elles soient libérales.


[III]


Avant d’aller plus loin[1], faisons toute réserve, et qu’il soit bien entendu que nous ne contestons ici aucun des inconvénients attachés aux dynasties, à la royauté et aux pouvoirs héréditaires, inconvénients moindres sans doute, mais tout aussi réels que les dangers inhérents aux présidences révocables, aux consulats à vie et aux suprématies électives. Ceci dit une fois pour toutes, nous continuons.

Une nation s’incarne parfaitement dans une dynastie et voici pourquoi : — Ce qui constitue une nation, c’est son unité j or l’unité se compose de deux éléments, l’indivisibilité et la perpétuité. Ces deux éléments, la famille les contient ; on peut dire même absolument qu’elle s’en compose. L’unité d’une famille peut donc se superposer étroitement à l’unité d’une nation, et représenter dans la réalité la plus concrète, évidente à tous les points de vue, soit qu’on l’examine selon la philosophie, soit qu’on l’examine selon l’histoire, l’indivisibilité des peuples par l’individualité royale, et leur perpétuité par l’hérédité. Il est visible qu’ici, et autrement la monarchie est mal comprise, ce sont les familles régnantes qui sont subordonnées aux nations, que les dynasties existent pour le peuple et non le peuple pour elles, et que le jour où elles cessent leurs fonctions, le jour où elles deviennent une gêne ou un péril, elles doivent être remplacées, c’est-à-dire retirées de la politique et reléguées dans l’histoire, absolument comme on installe dans un musée des outils qui ont fait leur temps, des machines hors d’usage ou des armures hors de service.

Ceux-là n’ont pas bien étudié la monarchie et son jeu naturel qui proclament et érigent en principe la nécessité de telle ou telle famille royale. Au point de vue de la politique et de la raison, il n’y a de nécessaire que la civilisation pour l’humanité et la nationalité pour le peuple. Ce qui constitue l’homme d’une part, ce qui constitue le citoyen d’autre part, voilà toute la nécessité politique, voilà le fondement, voilà la base. La monarchie se concilie avec tous ces besoins, avec toutes ces nécessités, et c’est pour cela qu’elle est bonne, mais à la condition de certains renouvellements climatériques qui la rajeunissent et qui donnent, quand l’heure est venue, une jeune sève à son vieux tronc.

Sans doute les familles royales veulent être ménagées et gardées, cultivées avec soin, émondées avec respect, touchées avec précaution ; dans l’intérêt de tous il est bon qu’elles durent longtemps ; leur longévité même est une image de la longévité nationale. Mais il ne faut jamais oublier qu’elles ne sont qu’utiles, et que c’est la nation qui est nécessaire. La croyance contraire a été, avant et après 1830, l’erreur de tout un parti, fidèle, brave, convaincu, généreux, chevaleresque, mais qui a

  1. À partir d’ici le texte n’est plus guillemeté sur le manuscrit.