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RELIQUAT DES MISÉRABLES.

compromis la monarchie en l’exagérant. La légitimité est à l’hérédité ce que la superstition est à la religion. Ce parti y a perdu, il s’est amoindri et s’est pour ainsi dire retiré à la fois du siècle et de la nation. Erreur fatale et qui doit surtout faire réfléchir les nouvelles générations du vieux royalisme ! À quoi bon se faire une petite patrie quand on en a une grande ? À quoi bon être de la Vendée quand on est de la France ?

C’est un événement grave, difficile, délicat, redoutable, mais qui se reproduit souvent dans l’histoire, que la greffe d’une dynastie sur une monarchie. Cet événement est nécessairement toujours précédé de l’abattement d’une branche royale, d’autant plus nuisible qu’elle est plus décrépite, d’autant plus vénérable qu’elle est plus vieille. Laissons faire la providence. Dieu est le bûcheron de ces grands coups de cognée.

Comme on peut déjà le pressentir d’après tout ce qui vient d’être dit, la monarchie n’exclut en aucune façon la souveraineté du peuple.

La monarchie, la théocratie, l’oligarchie, la république, ne sont que des formes de nations. Or la souveraineté ne peut être dans la forme. La souveraineté est dans l’unité, en d’autres termes, dans la nation. La souveraineté, c’est l’attribut nécessaire, fatal, essentiel, de l’unité. La liberté pour le citoyen, la souveraineté pour le peuple, c’est le même fait, c’est-à-dire la possession de soi-même. Quand les petites unités sont libres, la grande unité est souveraine ; quand la grande unité est souveraine, les petites unités sont libres ; cela ne saurait être autrement, depuis que l’évangile a émancipé l’intelligence humaine. Désormais la grandeur des états se composera de plus en plus de la dignité des individus. Sparte était une nation souveraine formée de citoyens esclaves ; Sparte n’était possible qu’avant Jésus-Christ.

Disons-le donc, la monarchie, loin d’exclure la souveraineté du peuple, l’admet et s’y appuie. Les dynasties vivent de la communication immédiate de cette souveraineté, et elles sortent du peuple comme d’une racine.

Tout existe dans la nation et se résume dans la dynastie. Ainsi que nous l’avons dit déjà, l’unité de celle-ci figure l’unité de celle-là. L’une rayonne, l’autre reflète. Pouvoir, puissance, autorité, dignité, indépendance, majesté, grandeur, tout vient du peuple et tout retourne au peuple. Les nations sont, les dynasties représentent.

Le roi n’est et ne doit être autre chose que la nation faite homme.

L’état, c’est moi, disait le roi qui a été le plus roi. Le roi est un abrégé utile du pays, une chair qui doit saigner de toutes les blessures faites à la chose publique, un être intelligent et pensif qui doit avoir un immense cœur par lequel passe et repasse soixante-dix fois par minute tout le sang du peuple.

On le voit, l’idée monarchie ne rejette en aucune façon l’idée démocratie. C’est une erreur de confondre comme on le fait souvent ces deux mots, république et démocratie, et de leur donner le même sens. La république est une machine politique, la démocratie est un fait éternel. La république est acceptable ou contestable, bonne ici, mauvaise là, passagère, périssable, possible ou impossible, selon l’heure et selon le lieu ; la démocratie, c’est l’avenir, c’est la réalité d’aujourd’hui, la nécessité de demain, le but de tout gouvernement intelligent, le fond de la politique humaine.