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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

d’arrivée d’un paquebot à Guernesey, comme chaque retard dans le retour de ce paquebot à Southampton constitue une perte de trois à quatre jours pour trois ou quatre feuilles. Si ce retard qui frappe l’arrivée ou le renvoi de la première épreuve se complique de la nécessité du renvoi d’une seconde épreuve et que celle-ci subisse à son tour ce même accident de mer, immédiatement la perte de temps est pour un volume de dix ou douze jours. C’est pour cette raison que votre présence à Bruxelles eût été si utile, eût donné tant d’impulsion à la publication.

…La préface que vous comptez donner aux Misérables sera-t-elle étendue ? Nous augmentons le nombre de volumes, mon cher Monsieur, mais en diminuant le prix du volume qui de 7 fr. 50 va être réduit à 6 francs ; cela fera excellent effet sur le public. En réalité le prix total des Misérables restera à peu près le même. Seulement par cette combinaison, qui nous impose d’ailleurs un surcroît de dépenses de papier, l’édition sera plus belle, plus luxueuse et semblera moins coûteuse.

L’édition populaire aura, elle, un prix accessible à tous.


Lacroix se bornait, pour l’instant, à incriminer les tempêtes et les retards de paquebot pour décider Victor Hugo à s’installer à Bruxelles. Il avait glissé un mot sur l’augmentation du nombre de volumes que Victor Hugo lui avait annoncé et qui lui imposait un surcroît de dépenses.

Si Victor Hugo ne comprenait pas que, pour s’affranchir de tant de tempêtes et récompenser tant de sacrifices, il devait à son tour faire l’effort de quitter son île dans le but d’être agréable à Lacroix, c’est qu’en vérité il avait le cœur obstinément fermé à la mansuétude ! Lacroix n’osait pas encore dire que la correction des épreuves était retardée par le fait de Victor Hugo, et bien lui en prit, puisque, quatre jours plus tard, il était obligé de faire amende honorable et d’avouer que les envois d’épreuves étaient très réguliers et que les tempêtes n’étaient passibles d’aucun méfait, puisqu’elles n’avaient pas visité Guernesey ; et voilà Lacroix obligé de vanter la parfaite exactitude de Victor Hugo :


Le timbre des lettres en fait foi, dit-il le 9 février, La faute est à la poste ou à des employés de la poste. Cette lettre, cette épreuve allant à Paris et nous revenant de là ouverte, lue, tout ceci est suspect.


Une lettre et un paquet d’épreuves avaient passé par Paris. Erreur de direction volontaire ou involontaire. Ce qui est certain, c’est que pareille aventure ne se renouvela pas, et Lacroix avait certainement raison — ce fait l’indique — lorsque, contrairement à l’avis de Victor Hugo, il avait tenu à ce que les corrections se fissent sur l’édition de Bruxelles ; aussi ne se prive-t-il pas de l’occasion pour ajouter :

Je me permets de différer d’opinion avec vous sur ce sujet et de me réjouir encore que vos corrections se fassent sur notre édition imprimée à Bruxelles. Que serait-ce en France ? Combien d’abus du gouvernement, s’il le voulait. Là serait le danger. D’une part retards nombreux et longs peut-être — lecture dans les bureaux du ministère ou au cabinet noir de la poste à Paris — détournement de feuilles pouvant servir à la contrefaçon. Au moins, en Belgique ce danger n’existe point. La preuve c’est que c’est en France seulement qu’on a ouvert, retenu votre lettre et les épreuves à notre adresse, ce n’est point en Belgique.


Victor Hugo s’était aperçu, en révisant son œuvre, en l’augmentant de nouveaux chapitres, que le nombre des volumes serait plus considérable qu’il ne l’avait prévu et il demandait à Lacroix de diviser chaque partie en deux volumes.

Lacroix fait valoir ce lourd sacrifice : diminution d’un tiers dans la recette, augmentation des frais, obligation de donner des volumes de 400 pages au lieu de 300, surcroît de dépenses de papier. Mais il pouvait se montrer bon prince, car si, dans son traité, il était question de sept