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NOTES DE L’ÉDITEUR.

ou huit volumes, il en obtenait dix pour le même prix ; il avait deux volumes pour lesquels, en réalité, il ne payait aucun droit d’auteur, cela valait bien un sacrifice de papier. Il le reconnaissait d’ailleurs : « Votre bonne promesse de dix volumes (chaque partie en deux volumes) est certes une compensation. »

Mais, saisissant le prétexte de la longueur inattendue du roman, il se crut autorisé, dans cette même lettre du 9 févier, à présenter des « observations timides et respectueuses », et à réclamer quelques mutilations. Il débute par les éloges :


Je ne connais rien d’égal comme puissance, comme drame, comme hauteur, comme pensée à la première partie des Misérables. C’est une œuvre complète, parfaite, unique. Ce sera, à mon sens, un succès de fièvre et d’enthousiasme.

La seconde partie se présente après cette émotion immense, universelle ! Cette attente anxieuse du public va se jeter sur Cosette. Waterloo va électriser par l’audace du génie que vous y déployez et par la grandeur et l’éclat de la forme. — La fuite de Jean Valjean, Cosette recueillie par lui, la découverte de Jean Valjean par Javert, la poursuite de Javert, sont autant de drames tour à tour doux, tristes ou terribles. Mais, à ce moment, après la retraite au couvent, l’action s’arrête, et deux chapitres admirables, l’un de description, l’autre de philosophie, arrêtent la curiosité impatiente du lecteur, la refroidissent peut-être ! j’entends parler des lecteurs en masse, du grand public, non des gourmets littéraires. Je crains que cet arrêt prolongé ne lui fasse perdre de vue la beauté et la force de développement du drame même ; d’autant plus que cette seconde partie compte ainsi trois livres en dehors de l’action proprement dite et en ralentissent le nœud : Waterloo qu’il faut garder, — le Petit Picpus, — Parenthèse. Je mets en regard, d’une part, l’appréciation première du public qui dévore un livre et court au drame, et d’autre part, la matière assez étendue de la seconde partie, qui, telle qu’elle est, forcera, pour se restreindre à deux volumes, à donner des volumes bien forts pour un prix modeste, et je vous demande si, à votre avis, le système que vous avez suivi pour Notre-Dame de Paris ne serait pas le meilleur, savoir : réserver les livres Petit Picpus et Parenthèse pour une seconde et troisième édition, comme il en a été de Ceci tuera cela de Paris à vol d’oiseau. Ce serait une nouveauté pour les éditions subséquentes et un nouveau succès, tandis que le premier public n’appréciera point assez ces beautés hors ligne à cause de son ardeur à suivre l’action et le développement des héros et à attendre la venue de personnages nouveaux, de nouveaux misérables d’autre espèce. À moins encore que vous ne fassiez aboutir au chapitre du couvent une action qui se mêle au récit, à la description, à l’étude philosophique qui l’anime…


Et Lacroix profite de l’occasion pour réclamer encore la présence de Victor Hugo à Bruxelles ; on pourrait causer, se voir ; on gagnerait du temps pour la rapidité de l’exécution. Ah ! venez, vous seriez si tranquille :


Venez, venez, cher maître, que je vous dise toute mon admiration et que vous jugiez par mes sentiments, mes impressions, de l’effet énorme que doivent produire les Misérables.


Victor Hugo ne répond nullement à cet appel, mais répond aux critiques.

En somme Lacroix n’a lu que les deux premières parties : peut-il bien porter un jugement sur un roman aussi considérable, et surtout critiquer ce qu’il appelle quelques longueurs ?

C’est l’avis de Victor Hugo :


Je vous mettrai en garde contre vous-même. L’inconvénient de ce livre, pour ceux qui cherchent à s’en rendre compte, c’est son étendue. S’il pouvait être publié d’un seul bloc, je crois que l’effet en serait décisif. Mais, ne pouvant être encore à cette heure lu que morcelé, l’ensemble échappe. Or c’est l’ensemble qui est tout. Tel détail, qui peut sembler long dans la première ou la deuxième partie, est une préparation de la fin. Et ce qui aura paru longueur au commencement ajoutera à l’effet dramatique du dénouement.

Comment en juger dès à présent ? Vous-