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HORREUR SACRÉE.

aux écumes, la muselière du gouffre défaite, tel est ce tumulte, compliqué d’on ne sait quel démêlé mystérieux avec les mauvaises consciences.

La loquacité de la nuit n’est pas moins lugubre que son silence. On y sent la colère de l’ignoré.

La nuit est une présence. Présence de qui ?

Du reste, entre la nuit et les ténèbres, il faut distinguer. Dans la nuit il y a l’absolu ; il y a le multiple dans les ténèbres. La grammaire, cette logique, n’admet pas de singulier pour les ténèbres. La nuit est une, les ténèbres sont plusieurs.

Cette brume du mystère nocturne, c’est l’épars, le fugace, le croulant, le funeste. On ne sent plus la terre, on sent l’autre réalité.

Dans l’ombre infinie et indéfinie, il y a quelque chose, ou quelqu’un, de vivant ; mais ce qui est vivant là fait partie de notre mort. Après notre passage terrestre, quand cette ombre sera pour nous de la lumière, la vie qui est au delà de notre vie nous saisira. En attendant, il semble qu’elle nous tâte. L’obscurité est une pression. La nuit est une sorte de mainmise sur notre âme. À de certaines heures hideuses et solennelles nous sentons ce qui est derrière le mur du tombeau empiéter sur nous.

Jamais cette proximité de l’inconnu n’est plus palpable que dans les tempêtes de mer. L’horrible s’y accroît du fantasque. L’interrupteur possible des actions humaines, l’antique Assemble-nuages, a là, à sa disposition, pour pétrir l’événement comme bon lui semble, l’élément inconsistant, l’incohérence illimitée, la force diffuse sans parti pris. Ce mystère, la tempête, accepte et exécute, à chaque instant, on ne sait quels changements de volonté, apparents ou réels.

Les poètes ont de tout temps appelé cela le caprice des flots.

Mais le caprice n’existe pas.

Les choses déconcertantes que nous nommons, dans la nature, caprice, et dans la destinée, hasard, sont des tronçons de loi entrevus.