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IV

autre forme du désert

C’est dans Weymouth qu’il venait d’entrer.

Le Weymouth d’alors n’était point l’honorable et superbe Weymouth d’aujourd’hui. Cet ancien Weymouth n’avait pas, comme le Weymouth actuel, un irréprochable quai rectiligne avec une statue et une auberge en l’honneur de Georges III. Cela tenait à ce que Georges III n’était pas né. Par la même raison, on n’avait point encore, au penchant de la verte colline de l’est, dessiné, à plat sur le sol, au moyen du gazon scalpé et de la craie mise à nu, ce cheval blanc, d’un arpent de long, le White Horse, portant un roi sur son dos, et tournant, toujours en l’honneur de Georges III, sa queue vers la ville. Ces honneurs, du reste, sont mérités ; Georges III, ayant perdu dans sa vieillesse l’esprit qu’il n’avait jamais eu dans sa jeunesse, n’est point responsable des calamités de son règne. C’était un innocent. Pourquoi pas des statues ?

Le Weymouth d’il y a cent quatrevingts ans était à peu près aussi symétrique qu’un jeu d’onchets brouillé. L’Astaroth des légendes se promenait quelquefois sur la terre portant derrière son dos une besace dans laquelle il y avait de tout, même des bonnes femmes dans leurs maisons. Un pêle-mêle de baraques tombé de ce sac du diable donnerait l’idée de ce Weymouth incorrect. Plus, dans les baraques, les bonnes femmes. Il reste comme spécimen de ces logis la maison des Musiciens. Une confusion de tanières de bois sculptées, et vermoulues, ce qui est une autre sculpture, d’informes bâtisses branlantes à surplombs, quelques-unes à piliers, s’appuyant les unes sur les autres pour ne pas tomber au vent de mer, et laissant entre elles les espacements exigus d’une voirie tortue et maladroite, ruelles et carrefours souvent inondés par les marées d’équinoxe, un amoncellement de vieilles maisons grand’mères groupées autour d’une église aïeule, c’était là Weymouth. Weymouth était une sorte d’antique village normand échoué sur la côte d’Angleterre.

Le voyageur, s’il entrait à la taverne remplacée aujourd’hui par l’hôtel, au lieu de payer royalement une sole frite et une bouteille de vin vingt-cinq francs, avait l’humiliation de manger pour deux sous une soupe au poisson, fort bonne d’ailleurs. C’était misérable.

L’enfant perdu portant l’enfant trouvé suivit la première rue, puis la seconde, puis une troisième. Il levait les yeux cherchant aux étages et sur les