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L'HOMME QUI RIT

— Tout ce qui est dans la mer, ce qui s’engloutit, ce qui surnage et ce qui s’échoue, tout, appartient à l’amiral d’Angleterre.
— Tout. Soit. Ensuite ?
— Excepté l’esturgeon, qui appartient au roi.
— J’aurais cru, dit Josiane, que tout cela appartenait à Neptune.
— Neptune est un imbécile. Il a tout lâché. Il a laissé tout prendre aux anglais.
— Conclus.
— Les prises de mer ; c’est le nom qu’on donne à ces trouvailles-là.
— Soit.
— C’est inépuisable. Il y a toujours quelque chose qui naufrage, quelque chose qui flotte, quelque chose qui aborde. C’est la contribution de la mer. La mer paie impôt à l’Angleterre.
— Je veux bien. Mais conclus.
— Votre Grâce comprend que de cette façon l’océan crée un bureau.
— Où ça ?
— À l’amirauté.
— Quel bureau ?
— Le bureau des prises de mer.
— Eh bien ?
— Le bureau se subdivise en trois offices, Lagon, Flotson, Jetson ; et pour chaque office il y a un officier.
— Et puis ?
— Un navire en pleine mer veut donner un avis quelconque à la terre, qu’il navigue en telle latitude, qu’il rencontre un monstre marin, qu’il est en vue d’une côte, qu’il est en détresse, qu’il va sombrer, qu’il est perdu, et cœtera, le patron prend une bouteille, met dedans un morceau de papier où il a écrit la chose, cachette le goulot, et jette la bouteille à la mer. Si la bouteille va au fond, cela regarde l’officier Lagon ; si elle flotte, cela regarde l’officier Flotson ; si elle est portée à terre par les vagues, cela regarde l’officier Jetson.
— Et tu voudrais être l’officier Jetson ?
— Précisément.
— Et c’est ce que tu appelles être déboucheur de bouteilles de l’océan ?
— Puisque la place existe.
— Pourquoi désires-tu cette dernière place plutôt que les deux autres ?
— Parce qu’elle est vacante en ce moment.
— En quoi consiste l’emploi ?
— Madame, en 1595, une bouteille goudronnée trouvée par un pêcheur de congre dans les sables d’échouage d’Epidium Promontoriuni fut portée